Chapitre S03-P01-C05

Sclérodermie systémique

Nouria Benmostefa, Paul Legendre et Luc Mouthon

La sclérodermie systémique (ScS) est une maladie systémique rare, associant des anomalies microcirculatoires responsables de phénomènes de vasoconstriction et de remodelage, une accumulation de collagène aboutissant à une fibrose de divers organes (peau, poumon, tube digestif…) et une composante auto-immune avec l'identification d'auto-anticorps.

La prévalence de la ScS varie de 3 à 24 cas pour 100 000 habitants avec des maxima observés aux États-Unis et en Australie [7]. Son incidence est également variable, comprise entre 0,4 et 2 cas pour 100 000 habitants/an. La ScS touche 3 à 8 femmes pour un homme et débute rarement avant l'âge de 20 ans ; on observe un pic de fréquence entre 45 et 60 ans.

Certains facteurs environnementaux et professionnels contribuent à augmenter le risque de développer une ScS. Parmi ces derniers, le rôle de la silice cristalline est communément admis, et la documentation d'une exposition à la silice autorise une reconnaissance de la ScS au titre de maladie professionnelle (Tableau 25 bis). Les études cas-témoins récentes sont en faveur de la responsabilité d'autres toxiques, en particulier les solvants organiques.

Physiopathologie

La physiopathologie de la ScS est caractérisée par une micro-angiopathie précoce et généralisée, une fibrose systémique, vasculaire et tissulaire ainsi qu'une réponse immunitaire activée et dérégulée conduisant à des phénomènes d'auto-immunité [3].

L'atteinte microcirculatoire résulte d'interactions anormales entre différents acteurs : cellules endothéliales, fibroblastes et cellules immunitaires, en particulier cellules de l'immunité adaptative (lymphocytes B et T) (Figure S3-P1-C5-1) [2]. Les cellules endothéliales des patients atteints de ScS, sous la pression de facteurs environnementaux, sécrètent de grandes quantités d'endothéline 1 (ET-1), puissant vasoconstricteur qui active les fibroblastes. Par ailleurs, fibroblastes et cellules endothéliales activées produisent des espèces réactives de l'oxygène qui accélèrent le remodelage vasculaire, conduisant à une oblitération des petits vaisseaux. Ces phénomènes sont en jeu au cours des atteintes circulatoires périphériques, mais également en cas d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). D'autres médiateurs clefs semblent impliqués : le facteur d'hypoxie (HIF pour hypoxia inducible factor) et la cytokine pro-angiogénique (VEGF pour vascular endothelial growth factor). Leur activation chronique et dérégulée contribuerait à une angiogenèse inefficace et au développement de mégacapillaires détectés en capillaroscopie péri-unguéale. L'activation/agression endothéliale semble générer une inflammation locale en particulier au niveau des lésions dermiques.

[caption id="attachment_4619" align="alignnone" width="800"]Fig_03-01-05_01Fig_03-01-05_01[/caption]
Schéma récapitulatif de la physiopathologie de la sclérodermie systémique.
AAF : acétylaminofluorène ; AECA : anticorps anticellules endothéliales ; BAFF : B-cell activating factor ; CD : cluster de différenciation ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité ; CTGF : connective tissue growth factor ; CXCL 4 : facteur plaquettaire 4 ; ET-1 : endothéline 1 ; IL : interleukine ; IRF-5 : interferon-regulatory factor 5 ; LB : lymphocyte B ; LT : lymphocyte T ; MEC : matrice extracellulaire ; MCP-1 ; monocyte chemoattractant protein 1 ; pDC : cellules dendritiques plasmacytoïdes ; PDGF : platelet derived growth factor ; ROS : reactive oxygen species (espèces réactives de l'oxygène) : TGF-β ; transforming growth factor β. (Modifié d'après Dumoitier N, Lofek S, Mouthon L. Pathophysiology of systemic sclerosis : state of the art 2014. Presse Méd, 2014, 43 : e267-e278.)

La fibrose est le trait spécifique de la ScS : les fibroblastes en sont les principaux effecteurs ; activés, ils ont une capacité accrue à se différencier en myofibroblastes avec des capacités de synthèse de collagène encore augmentées. Certaines de ces anomalies peuvent être reproduites en stimulant des fibroblastes normaux par du TGF-β (transforming growth factor β), cytokine clef de la fibrogenèse, produite par de nombreuses cellules : monocytes/macrophages, lymphocytes T et fibroblastes. La voie de signalisation la plus classique du TGF-β est celle des protéines transductrices appelées smad. Une dérégulation de l'expression des récepteurs du TGF-β et/ou des protéines smad a été identifiée dans la ScS, en particulier un excès de smad 2 et smad 3, activatrices et une diminution de smad 7, inhibitrice.

L'inflammation et l'auto-immunité pourraient avoir des cibles privilégiées, l'inflammation ayant par exemple un rôle physiopathologique important dans l'atteinte interstitielle pulmonaire. Les lymphocytes B sont peu nombreux dans le derme ; cependant, l'immunité humorale joue un rôle important comme en atteste la présence d'auto-anticorps spécifiques tels les anticentromères, antitopo-isomérase I, ARN polymérase III ou dirigés contre les fibroblastes et/ou les cellules endothéliales [3]. Enfin, les cellules dendritiques plasmacytoïdes ont été identifiées comme actrices dans le développement de la ScS, notamment via la sécrétion de facteur plaquettaire 4 (CXCL4).

En association aux facteurs environnementaux, certaines prédispositions génétiques semblent intervenir dans le déclenchement d'une ScS. À partir de trois cohortes américaines, un risque pour les apparentés de premier degré proche a été identifié avec un taux de récurrence à 1,6 contre 0,026 % dans la population générale. Des études ont montré l'association, à la ScS, de polymorphisme d'IRF-5 (interferon-regulatory factor 5), un facteur transcriptionnel impliqué dans la signalisation des récepteurs Toll-like (TLR) et l'activation des gènes cibles de l'interféron α.

Diagnostic

Les groupes de l'American College of Rheumatology (ACR) et de l'European League Against Rheumatism (EULAR) (ACR/EULAR) ont développé de nouveaux critères de classification de la ScS (Tableau S03-P01-C05-I). Selon cette nouvelle classification, un patient remplit les critères diagnostiques de ScS s'il a des lésions de sclérose cutanée des doigts des deux mains remontant au-dessus des articulations métacarpophalangiennes. En l'absence de ce critère, si le patient accumule sur un ensemble de sept critères au moins neuf points – lésions digitales (doigts boudinés, sclérodactylie), cicatrices pulpaires ou pertes de substance, télangiectasies, anomalies à la capillaroscopie unguéale, HTAP et/ou pneumopathie interstitielle diffuse (PID), phénomène de Raynaud et/ou auto-anticorps spécifiques de la ScS –, il est classé comme ayant une ScS [9].

Tableau S03-P01-C05-I Critères de classification de la sclérodermie -systémique (ScS) de l'American College of Rheumatology (ACR)/European League Against Rheumatism (EULAR) [9].

Item

Sous-item

Score

Lésions cutanées

Sclérose cutanée des doigts s'étendant au-delà des articulations métacarpophalangiennes (critère suffisant)

9

Épaississement des doigts (seul compte le score le plus élevé)

Doigts boudinés

2

Sclérodactylie

4

Lésions digitales distales (seul compte le score le plus élevé)

Ulcération digitale

2

Cicatrices pulpaires

2

Vasculopathie périphérique

Télangiectasies

2

Anomalies à la capillaroscopie

2

Phénomène de Raynaud

3

Atteinte pulmonaire

Atteinte interstitielle pulmonaire ou hypertension artérielle pulmonaire (score maximal : 2)

Atteinte interstitielle pulmonaire

2

Hypertension artérielle pulmonaire

2

Anomalies biologiques

Auto-anticorps en rapport avec la ScS (score maximal : 3)

Anti-centromère

Anti-topo-isomérase I

Anti-ARN polymérase III

3

Ces critères sont applicables à tout patient incluable dans une étude sur la ScS. Ces critères ne sont pas applicables à des patients qui ont des épaississements cutanés épargnant les doigts ou à des patients ayant une pseudo-sclérodermie pouvant mieux expliquer leurs manifestations (par exemple, fibrose néphrogénique, morphée généralisée, fasciite à éosinophiles [syndrome de Shulman], sclérose diabétique, scléromyxœdème, érythromyalgie, porphyrie, lichen scléreux, réaction du greffon contre l'hôte, cheiro-arthropathie diabétique).

Le score total est déterminé par l'addition des scores maximaux dans chaque catégorie. Les patients totalisant un score ≥ 9 sont classés comme ayant une ScS.

Les résultats des tests de validation montrent que la sensibilité est de 91 %, et la spécificité est de 92 % pour ces nouveaux critères de classification ACR/EULAR 2013 comparativement à une sensibilité de 75 % et une spécificité de 72 % pour les critères ACR 1980. Il est important de noter que, parmi les différents critères de classification de l'ACR/EULAR 2013, apparaissent les doigts boudinés et l'HTAP qui n'étaient pas présents parmi les critères de l'ACR 1980. La biopsie cutanée n'a aucun intérêt diagnostique.

Classification

On distingue deux formes principales de ScS selon l'étendue de l'atteinte cutanée : une forme diffuse qui se caractérise par une sclérose de la peau remontant au-dessus des coudes et/ou des genoux et une forme limitée au cours de laquelle la sclérose cutanée est limitée à la distalité des membres et au visage.

Sclérodermies systémiques limitées

Au cours de ces formes, par définition, l'atteinte cutanée ne remonte pas au-dessus des coudes ou des genoux. Le phénomène de Raynaud précède la survenue des lésions de sclérose cutanée de 5 à 10 ans. Les ScS limitées sont associées dans 40 à 80 % des cas à la détection d'anticorps anticentromères.

En dehors de l'atteinte œsophagienne, les atteintes viscérales sont rares au cours des formes limitées, essentiellement représentées par une HTAP et/ou une pneumopathie interstitielle diffuse.

Sclérodermies systémiques diffuses

Elles sont caractérisées par une infiltration cutanée de la racine des membres et /ou du tronc. La sclérose cutanée débute habituellement moins d'un an après le début du phénomène de Raynaud. Des anticorps anti-topo-isomérase I (Scl-70) sont trouvés dans 20 à 70 % des cas. Les anticorps anti-ARN polymérase III sont moins fréquents et associés à des atteintes rénales. Les complications viscérales sont fréquentes, surviennent en général dans les trois premières années et ont une incidence pronostique considérable.

Sclérodermie sine scleroderma

Il s'agit d'une forme clinique de ScS qui associe un phénomène de Raynaud et des anomalies capillaroscopiques sans atteintes spécifiques d'organes et sans qu'il existe de sclérose cutanée.

Manifestations cliniques

Phénomène de Raynaud

Le phénomène de Raynaud est un phénomène vasomoteur paroxystique des extrémités déclenché par le froid et évoluant en trois phases : une phase syncopale (doigts blancs et froids), (Figure S3-P1-C5-2b) une phase asphyxique (doigts cyanosés et douloureux) (Figure S3-P1-C5-2c), puis une phase érythémateuse précédant le retour à la normale. Ce syndrome est retrouvé chez 95 % des patients atteints de ScS. Il peut précéder de plusieurs années la survenue des autres signes de ScS. L'atteinte est le plus souvent symétrique, intéresse tous les doigts, y compris les pouces, touche parfois les pieds, le nez, la langue et les oreilles. Des complications trophiques à type d'ulcérations punctiformes, d'ischémie pulpaire sont relativement fréquentes.

[caption id="attachment_4619" align="alignnone" width="800"]Fig_03-01-05_02Fig_03-01-05_02[/caption]
Sclérodermie systémique.a) Télangiectasies multiples du visage. b) Phénomène de Raynaud, phase syncopale. c) Phénomène de Raynaud, phase asphyxique.

Ulcères digitaux

Les ulcères digitaux sont une complication fréquente de la ScS. Leur prévalence est estimée entre 35 et 58 % selon les études. Dans 70 % des cas, les ulcères digitaux apparaissent dans les cinq premières années d'évolution.

On distingue les ulcères digitaux d'origine vasculaire, de localisation classiquement pulpaire (Figure S3-P1-C5-3d), et ceux en rapport avec la survenue de microtraumatismes répétés, situés préférentiellement au niveau de la face d'extension des doigts (Figure S3-P1-C5-3b) et/ou en regard des lésions de calcinose.

[caption id="attachment_4619" align="alignnone" width="800"]Fig_03-01-05_03Fig_03-01-05_03[/caption]
Sclérodermie systémique.a) Acro-ostéolyse distale du 2e rayon de la main gauche. b) Ulcération en regard de l'interphalangienne proximale du 2e rayon de la main droite. c) Ulcère digital surinfecté du pouce droit. d) Ulcération distale du 2e orteil du pied droit.

En dehors des douleurs intenses retentissant sur la qualité de vie, les complications les plus fréquentes sont la récidive et les infections (Figure S3-P1-C5-3c). Le risque majeur est l'amputation, soit spontanée, soit chirurgicale.

[caption id="attachment_4619" align="alignnone" width="800"]Fig_03-01-05_04Fig_03-01-05_04[/caption]
Capillaroscopie péri-unguéale.a) Sujet sain : capillaroscopie normale. b) Patient sclérodermique : présences de mégacapillaires (flèches) et de zones avasculaires.

Les ulcères digitaux sont plus fréquents chez les hommes, les patients à peau noire, dans les formes diffuses de ScS et chez les patients atteints de certaines complications viscérales (pulmonaires). Leur présence est également corrélée à la durée d'évolution de la ScS et à la sévérité de l'atteinte cutanée mesurée par le score de Rodnan modifié. Dans certaines séries, une corrélation avec la détection d'anticorps anti-topo-isomérase I (Scl-70) est retrouvée.

Alivernini et al. ont rapporté que les meilleurs prédicteurs indépendants d'ulcères digitaux chez les patients atteints de ScS sont le taux d'interleukine 6 (IL-6) dans le plasma, la présence d'un anticoagulant circulant de type lupique et la présence de zones avasculaires à la capillaroscopie [1] (Figure S3-P1-C5-4).

Quant aux calcinoses (Figure S3-P1-C5-5c), elles constituent également une cause d'ulcères digitaux et un facteur important de leur chronicité.

[caption id="attachment_4619" align="alignnone" width="800"]Fig_03-01-05_05abcFig_03-01-05_05abc[/caption][caption id="attachment_4619" align="alignnone" width="800"]Fig_03-01-05_05dFig_03-01-05_05d[/caption]
Sclérodermie systémique.a) Limitation d'ouverture buccale (microstomie), objectivée par la mesure de la distance interincisive (ici 19 mm pour une normale supérieure à 40 mm). b) Sclérodactylie. c) Calcinose sous-cutanée du 4e doigt de la main gauche. d) Radiographie de la main droite de profil ; calcifications sous-cutanées distales des 2e et 3e rayons.

Il faut savoir que la ScS est responsable d'une augmentation du handicap global par rapport à la population générale et que le handicap de la main, à lui seul, contribue pour 75 % au handicap global au cours de cette maladie.

Autres signes cutanés

La sclérose cutanée peut évoluer en trois phases :

- une phase œdémateuse, inconstante, est observée surtout dans les formes diffuses, elle est caractérisée par un gonflement des doigts et des mains qui sont infiltrés donnant un aspect boudiné (Figure S3-P1-C5-6d) ;

- une phase indurée, durant laquelle surviennent les lésions de sclérose cutanée, peut aller, si on prend l'exemple des doigts,  d'une sclérodactylie modérée à un épaississement cutané très marqué, la peau n'étant quelquefois plus plissable, pouvant adhérer aux plans profonds et conduisant progressivement à la rétractation irréductible des doigts en flexion, à l'origine du signe de la prière (Figure S3-P1-C5-5b). La sclérose du visage est responsable d'une disparition des rides du front, d'un nez aquilin, d'une diminution de l'ouverture buccale (microstomie) mesurée par la distance entre les arcades dentaires (< 40 mm) (Figure S3-P1-C5-5a) ;

- dans la phase atrophique, il existe une atrophie puis une disparition de l'hypoderme aboutissant à une peau fine, des lèvres fines et une accentuation des plis radiés péribuccaux.

[caption id="attachment_4619" align="alignnone" width="800"]Fig_03-01-05_06Fig_03-01-05_06[/caption]
Sclérodermie systémique.a) Orteils en griffe. b) Plages de sclérose cutanée abdominale avec dépigmentation (forme diffuse). c) Sclérose et dépigmentation cutanée du membre supérieur gauche (forme diffuse). d) Aspect de doigts boudinés de la main droite.

Les atteintes cutanées se compliquent souvent de troubles trophiques, de télangiectasies (Figure S3-P1-C5-2a) (mains, visage, lèvres et cavité buccale) et de troubles de la pigmentation qui peuvent associer des plages de dépigmentation ou d'hyperpigmentation (Figure S3-P1-C5-6b et c).

La mesure de la sclérose cutanée se fait par le score de Rodnan modifié (mRSS). Ce score évalue, en dix-sept zones du corps, par la simple palpation cutanée, l'importance de l'épaississement (0 : épaisseur cutanée normale ; 1 : épaississement minime ; 2 : épaississement modéré ; 3 : épaississement majeur, avec adhérence aux plans profonds).

Atteinte pulmonaire

Pneumopathie interstitielle diffuse

La pneumopathie interstitielle diffuse (PID) est l'une des atteintes viscérales les plus fréquentes de la ScS (40 à 50 %, voire 80 à 100 % dans des séries autopsiques), qui se voit le plus souvent chez des patients présentant une forme diffuse de la maladie et en cas de positivité des anticorps anti-topo-isomérase I (Scl-70). La PID est la première cause de mortalité, représentant 33 % des décès liés à la ScS et 16 % de la mortalité globale. La pneumopathie interstitielle non spécifique est la forme la plus fréquemment rencontrée.

La PID, initialement asymptomatique, si elle ne fait pas l'objet d'un dépistage, se révèle par une dyspnée à l'effort, une toux sèche, une asthénie importante avec des crépitant « velcro » des bases à l'auscultation pulmonaire. Enfin, chez certains patients ayant une forme diffuse de la maladie, elle peut s'associer à des lésions de sclérose du tronc qui peuvent gêner l'ampliation thoracique.

Hypertension artérielle pulmonaire

Les patients atteints de ScS sont à haut risque d'HTAP. L'HTAP est définie par une pression artérielle pulmonaire (PAP) moyenne (PAPm) mesurée à 25 mmHg ou plus au repos à l'occasion d'un cathétérisme cardiaque droit. Dans 55 % des cas, l'HTAP survient dans les cinq années qui suivent le premier symptôme hors phénomène de Raynaud. La prévalence de l'HTAP mesurée par cathétérisme cardiaque droit, dans la ScS, varie de 7,85 à 13 %. Le cathétérisme cardiaque droit permet de différencier une hypertension artérielle pulmonaire d'une insuffisance ventriculaire gauche.

Cliniquement, les patients se plaignent volontiers d'une asthénie, signe précoce mais bien entendu non spécifique. La dyspnée d'effort passe souvent inaperçue. Les patients se présentent le plus souvent avec un retard diagnostique et une dyspnée de classe III ou IV de la New York Heart Association (NYHA). L'auscultation pulmonaire peut révéler un souffle systolique fonctionnel d'insuffisance tricuspidienne, un souffle diastolique d'insuffisance pulmonaire et/ou surtout un éclat du B2 au foyer pulmonaire. Les signes d'insuffisance cardiaque droite doivent être recherchés minutieusement (un indice de sévérité), même s'ils sont assez rarement retrouvés chez les patients ayant des lésions de sclérose importante.

La maladie veino-occlusive est une entité distincte de l'hypertension artérielle pulmonaire. Elle se caractérise par une occlusion diffuse et extensive des petites veines pulmonaires par un processus fibreux. C'est une complication rare de la ScS, dont le diagnostic est évoqué devant une HTAP sévère, des signes radiologiques d'œdème pulmonaire, une baisse de la diffusion libre du monoxyde de carbone (DLCO) et une aggravation des symptômes à l'instauration du traitement vasodilatateur. Au cours de la ScS, une hypertension pulmonaire secondaire à une fibrose pulmonaire peut également être observée, conséquence de l'hypoxie et non de lésions de remodelage des artérioles pulmonaires.

Manifestation digestives

L'atteinte digestive est fréquente, retrouvée dans 75 à 90 % des cas. Elle peut intéresser l'ensemble du tube digestif. L'atteinte œsophagienne est la plus fréquente, précoce et parfois asymptomatique. La symptomatologie est celle d'un reflux gastro-œsophagien. La dysphagie doit être un signe d'alarme faisant suspecter une complication de type œsophagite érosive, sténose peptique, voire d'endobrachyœsophage pouvant faire le lit du cancer.

La survenue de vomissements tardifs par rapport aux repas doit faire évoquer une gastroparésie. De plus, des hémorragies digestives peuvent compliquer des ectasies vasculaires et un estomac pastèque. La survenue d'épisodes de constipation tenace avec distension abdominale, éventuellement suivis d'une débâcle diarrhéique, doit faire évoquer une pseudo-obstruction intestinale chronique, à l'origine d'une pullulation microbienne. Une atteinte colique peut également être à l'origine d'une alternance de diarrhée et de constipation. L'atteinte anorectale est relativement fréquente, se traduisant, le plus souvent, par une incontinence fécale et quelquefois à l'origine d'un prolapsus rectal.

Manifestations cardiaques

L'atteinte myocardique de la ScS est la conséquence d'une atteinte microcirculatoire à l'origine d'une fibrose myocardique. Des lésions myocardiques sont fréquemment rapportées dans les séries autopsiques. Lorsqu'elle a une traduction clinique, l'atteinte cardiaque a un pronostic péjoratif, la mortalité à 2 ans étant estimée à environ 60 %. La fibrose myocardique, et la dysfonction diastolique gauche qui en résulte, est la principale manifestation du cœur sclérodermique. L'atteinte des artères coronaire est très rare au cours de la ScS, conséquence de lésions athéromateuses chez des patients ayant des facteurs de risque.

La survenue d'une insuffisance ventriculaire gauche nécessitera la recherche de facteurs favorisant cette décompensation, en particulier une dysfonction diastolique du ventricule gauche, un trouble du rythme (arythmie complète par fibrillation auriculaire) ou d'une inflation volémique dans le contexte d'une crise rénale à l'origine d'une oligurie.

Les troubles de la conduction sont assez rares, mais doivent être dépistés au moindre doute, comme les troubles du rythme, par un Holter électrocardiogramme. La prévalence de la péricardite au cours de la ScS est estimée entre 11 et 41 % sur la base de données cliniques ou échographiques. La survenue d'une tamponnade est exceptionnelle.

Manifestations rénales

La crise rénale sclérodermique survient chez environ 5 % des patients sclérodermiques, particulièrement dans les quatre premières années d'évolution dans les formes diffuses de la maladie. Elle se caractérise par une hypertension artérielle (HTA) maligne d'apparition brutale, et une insuffisance rénale aiguë. Les facteurs prédictifs de la survenue d'une crise rénale sclérodermique sont une progression rapide de l'atteinte cutanée dans les formes diffuses, une durée d'évolution inférieure à 4 ans, un événement cardiaque récent (péricardite, insuffisance ventriculaire gauche), une anémie de survenue récente, la présence d'anticorps anti-ARN polymérase III ou un traitement par prednisone supérieur à 15 mg/j dans les trois mois précédents. Les patients à risque de crise rénale sclérodermique doivent donc régulièrement effectuer une autosurveillance de leur pression artérielle.

L'insuffisance ventriculaire gauche et l'encéphalopathie hypertensive dominent le tableau clinique. Sur le plan biologique, il existe une insuffisance rénale rapidement évolutive oligurique, une anémie hémolytique avec des schizocytes et une thrombopénie réalisant un tableau de micro-angiopathie thrombotique. La pression artérielle est normale dans 10 % des cas. Les formes normotensives se caractérisent par une plus grande fréquence de micro-angiopathie thrombotique et un pronostic plus réservé. La réalisation d'une biopsie rénale n'est pas utile dans les formes typiques. Le pronostic de la crise rénale sclérodermique s'est considérablement modifié depuis l'introduction des inhibiteurs d'enzyme de conversion et l'amélioration des techniques de dialyses. Cependant, la survie à 5 ans des patients sclérodermiques ayant développé une crise rénale n'est que de 65 %.

Manifestations ostéo-articulaires et neuromusculaires

Les atteintes articulaires touchent plus de la moitié des patients. Il s'agit plus souvent de polyarthralgies d'horaire inflammatoire que d'arthrites, quelquefois de synovites. Des crissements tendineux (associés à un moins bon pronostic), des déformations des mains, conséquences de subluxations et rétractions tendineuses, peuvent s'observer. Une résorption des houppes des phalanges distales peut être constatée sur les radiographies des mains.

Les myalgies sont fréquentes et une faiblesse musculaire des ceintures n'est pas exceptionnelle. Elles peuvent s'accompagner d'une élévation des enzymes musculaires et d'un syndrome myogène électrique. En revanche, les myopathies inflammatoires sont rares, identifiées chez moins de 5 % des patients.

Les calcinoses correspondent au dépôt de cristaux d'hydroxyapatite dans les tissus mous sous-cutanés (Figure S3-P1-C5-5c). L'évolution peut se faire vers l'extériorisation et la survenue de plaies chroniques avec le risque de surinfection.

Les atteintes de l'appareil locomoteur sont à l'origine d'un handicap important et d'une diminution notable de la qualité de vie.

Les atteintes neurologiques périphériques les moins rares sont les compressions du nerf médian au poignet réalisant un syndrome du canal carpien. Des crises comitiales sont décrites, le plus souvent dans le cadre d'encéphalopathies hypertensives.

Examens paracliniques

Capillaroscopie

La capillaroscopie permet de visualiser les anomalies vasculaires rencontrées au cours de la ScS : des capillaires géants (mégacapillaires), une raréfaction vasculaire (phase précoce), des plages avasculaires et des hémorragies peuvent être observées (phase active), ainsi que des lésions de néovascularisation (phase tardive) (voir Figure S3-P1-C5-4). La mise en évidence d'anomalies capillaroscopiques constitue un élément très important pour le diagnostic de la ScS, même si des mégacapillaires peuvent également être observés au cours de la dermatomyosite et des connectivites mixtes.

Explorations pulmonaires

Les explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) permettent de mesurer les débits bronchiques (débitmétrie), les volumes pulmonaires (spirométrie), ainsi que la qualité des échanges gazeux (DLCO). La pneumopathie interstitielle diffuse peut se manifester aux EFR par un trouble de la diffusion alvéolocapillaire (diminution de la DLCO) qui est souvent le signe le plus précoce ou un trouble ventilatoire restrictif. En cas de PID, l'analyse spirométrique par pléthysmographie peut également révéler une diminution des volumes pulmonaires : une diminution de la capacité vitale forcée (CVF) ou une diminution de la capacité pulmonaire totale, synonyme de syndrome restrictif si sa valeur est inférieure à 80 % de la valeur prédite. Toute diminution isolée de la DLCO inférieure à 60 % sans réduction significative des volumes pulmonaires fait suspecter une HTAP existante ou à risque de se développer. Le test de marche de 6 minutes avec monitoring de la saturation artérielle en oxygène et l'évaluation de la dyspnée à l'aide de l'indice de Borg, font partie des examens d'évaluation et de suivi des patients atteints de ScS.

La radiographie thoracique est souvent normale initialement. La tomodensitométrie thoracique haute résolution (TDM HR) en coupes fines met en évidence précocement des micronodules, des opacités en verre dépoli prédominant aux régions postéro-basales (Figure S3-P1-C5-7a et b). Des bronchectasies par traction et des opacités en rayon de miel se voient dans les formes plus évoluées (Figure S3-P1-C5-7c et d). Les opacités en « verre dépoli » s'observent plutôt dans les pneumopathies interstitielles non spécifiques alors que les destructions en « rayon de miel » sont généralement la lésion dominante des pneumopathies interstitielles communes.

[caption id="attachment_4619" align="alignnone" width="800"]Fig_03-01-05_07Fig_03-01-05_07[/caption]
Sclérodermie systémique.Images de pneumopathie interstitielle diffuse en tomodensitométrie pulmonaire haute résolution en coupes horizontales. a) Discrètes images en verre dépoli et réticulation intralobulaire prédominant aux bases. b) Discrètes opacités en verre dépoli prédominant dans les régions postéro-basales, bronchectasies par traction et lésions fibreuses en rayon de miel. c) Fibrose en rayon de miel, étendue aux bases. d) Fibrose pulmonaire évoluée bilatérale, bulles d'emphysème, destruction parenchymateuse.

Le lavage broncho-alvéolaire n'a d'intérêt que dans les situations de doute diagnostique comme la suspicion d'une infection opportuniste respiratoire, chez des patients immunodéprimés par leur traitement. La biopsie pulmonaire chirurgicale n'a pas d'utilité au cours d'une PID compliquant une ScS.

Explorations cardiaques

Les données de l'ECG peuvent mettre en évidence des troubles du rythme et/ou de la conduction. L'ECG est également utile au dépistage de l'HTAP qui sera suspectée en présence de signes d'hypertrophie ventriculaire.

L'échocardiographie transthoracique est l'examen de référence pour le dépistage de l'HTAP. Il est recommandé de réaliser une échocardiographie annuelle chez tout patient sclérodermique symptomatique selon l'algorithme suivant : lorsque la vitesse d'insuffisance tricuspidienne est élevée, supérieure à 3 m/s, ou entre 2,8 et 3 m/s associée à majoration de la dyspnée sans autre cause, le patient est suspect d'HTAP et un cathétérisme cardiaque droit doit être réalisé. Le cathétérisme cardiaque droit, seul, permet d'affirmer le diagnostic d'HTAP et d'en préciser le mécanisme pré- ou post-capillaire, en mettant en évidence une pression capillaire pulmonaire basse, inférieure à 15 mm Hg dans l'HTAP, ou élevée, en faveur d'une hypertension pulmonaire secondaire à une insuffisance ventriculaire gauche.

L'échocardiographie peut également mettre en évidence d'autres manifestations cardiaques de la ScS via l'évaluation des tailles et fonctions des ventricules droit et gauche, la recherche de troubles de contractilité et la recherche d'anomalies péricardiques.

Le dosage du NT-pro-BNP (N-terminal pro-brain natriuretic peptide), s'il est élevé, est associé à un risque multiplié par 6 de développer une HTAP.

L'IRM (imagerie par résonance magnétique) cardiaque permet, dans le contexte d'une myopathie inflammatoire associée, d'identifier des lésions de myocardite.

Explorations digestives

Il est nécessaire de faire une fibroscopie œso-gastro-duodénale s'il y a un point d'appel clinique avec un reflux gastro-œsophagien compliqué d'épigastralgies, une anémie ferriprive inexpliquée ou une dysphagie. Elle doit être réalisée dans les cinq premières années suivant le diagnostic de la maladie. Si elle est effectuée, une manométrie œsophagienne pourra éventuellement permettre de rechercher une diminution du tonus du sphincter inférieur de l'œsophage et une diminution de l'amplitude des ondes péristaltiques des deux tiers inférieurs de l'œsophage.

Explorations de l'appareil ostéo-articulaire

Les radiographies standard des mains permettent la mise en évidence de calcinoses (Figure S3-P1-C5-5d), de lésions articulaires et/ou osseuses (acro-ostéolyse). Les lésions tendineuses et les synovites sont mieux dépistées à l'échographie.

Biologie

Un syndrome inflammatoire peut être documenté, avec élévation de la CRP et/ou du fibrinogène. Les gammaglobulines sont le plus souvent normales mais peuvent être élevées.

Les anticorps antinucléaires sont détectés à un taux significatif (> 1/160) chez 90 % des patients et un anticorps spécifique de la ScS est retrouvé chez 60 à 70 % d'entre eux. Les anticorps anticentromère sont présents dans 30 à 60 % des formes limitées et les anticorps anti-topo-isomérase I (anti-Scl-70) dans 25 à 65 % des formes diffuses. Ces derniers sont associés à la survenue d'une fibrose pulmonaire et ne sont pas retrouvé chez des patients ayant des anticorps anticentromère. Les anti-ARN polymérase III sont mis en évidence chez 4 à 20 % des malades et sont associés à des formes diffuses et à la survenue d'une crise rénale sclérodermique, alors que les anticorps anti-U1RNP sont retrouvés dans des formes avec HTAP et myosite. Il est également possible de retrouver des anticorps anti-RNP (évocateurs de connectivite mixte) ou des anticorps anti-PM1 devant faire rechercher une dermatomyosite (scléromyosite). Enfin, la positivité des facteurs rhumatoïdes et des anticorps antimitochondries est possible en cas de polyarthrite rhumatoïde ou de cirrhose biliaire primitive associées à la ScS. Les anticardiolipines sont positifs dans 25 % à 35 % des cas, principalement dans les ScS sévères. Les anticorps antiphospholipides sont plus fréquemment positifs chez les sujets ayant une HTAP.

Stratégie d'utilisation des examens complémentaires

Les examens complémentaires ont plusieurs utilités : confirmer le diag-nostic, dépister les complications et assurer le suivi. Le Tableau S03-P01-C05-II résume la démarche à adopter pour l'utilisation des examens paracliniques.

Tableau S03-P01-C05-II Examens complémentaires à réaliser dans la sclérodermie systémique.

Si la sclérodermie systémique est suspectée mais non évidente cliniquement, faire dans un but diagnostique :

– capillaroscopie péri-unguéale

– anticorps antinucléaires (et anticorps anti-ARN polymérase III si absence d'anticorps anticentromères/anti-topo-isomérase 1 ou Scl-70)

– échographie cardiaque transthoracique avec mesure de la vitesse d'insuffisance tricuspidienne

– tomodensitométrie thoracique en coupes fines haute résolution

– EFR avec DLCO

– radiographie des mains de face

– manométrie œsophagienne(1)

Lorsque le diagnostic de sclérodermie systémique est établi, en plus des examens précédents, il est nécessaire de réaliser :

– ECG

– numération-formule sanguine pour rechercher une anémie, frottis sanguin (schizocytes), dosage de l'haptoglobine et des LDH à la recherche d'une hémolyse

– bilan hépatique complet (transaminases, phosphatases alcalines, γ-GT, bilirubine libre et conjuguée), dosage des CPK, électrophorèse des protéines plasmatiques, albuminémie

– ionogramme plasmatique, créatininémie, urémie, calcémie, phosphorémie, étude du sédiment urinaire

– NT-pro BNP

– fibroscopie œsogastrique s'il y a des symptômes d'appel

À réaliser chaque année de manière systématique

– évaluation clinique, en particulier ouverture buccale (en millimètres) entre les arcades dentaires, score de Rodnan modifié, présence de télangiectasies

– bilan biologique semblable à celui fait au moment du diagnostic, dont un dosage du NT-pro-BNP

– EFR avec DLCO

– échographie cardiaque transthoracique

(1) Éventuellement sur point d'appel digestif en l'absence d'élément patent en faveur d'une ScS.

CPK : créatine phophokinase ; DLCO : diffusion libre du monoxyde de carbone ; ECG : électrocardiogramme ; EFR : explorations fonctionnelles respiratoires ; LDH : lactates déshydrogénases ; NT-pro-BNP : N-terminal pro-brain natriuretic peptide (fraction N-terminale du peptide natriurétique de type B).

Maladies auto-immunes associées

Syndrome de Gougerot-Sjögren

La fréquence de la ScS chez les malades atteints d'un syndrome de Gougerot-Sjögren varie de 4 à 6 % des cas, tandis que la proportion des patients atteints d'un syndrome de Gougerot-Sjögren dans une population de ScS est de l'ordre de 6 à 14 %. Les anticorps antinucléaires de type moucheté sont retrouvés dans 53 % des cas de l'association. Ceux sont des anticorps anti-SS-A (Ro) ou anti-SS-B (La). Pour affirmer le diagnostic de syndrome de Gougerot-Sjögren, le malade doit présenter quatre critères, dont au moins un biologique ou histologique, parmi : syndrome sec subjectif ou objectif, syndrome sec oculaire subjectif ou objectif, test de Schirmer inférieur à 5 mm à 5 minutes (ou score > 4 sur le test au rose Bengale), flux salivaire inférieur à 0,10 ml/min (ou sialographie parotidienne ou scintigraphie parotidienne anormale), biopsie des glandes salivaires accessoires de grade 3 ou 4 de Chisholm, présence d'anticorps anti-SS-A (Ro) ou anti-SS-B (La).

Cirrhose biliaire primitive

L'association ScS limitée-cirrhose biliaire primitive est suspectée en cas de prurit et de cholestase. Elle est confirmée par la présence d'anticorps antimitochondries et la biopsie hépatique. Cette association constitue le syndrome de Reynolds.

Thyroïdite d'Hashimoto

En présence de signes d'hypothyroïdie, elle doit être recherchée par un dosage de la TSH (thyroid-stimulating hormone) et une recherche d'anticorps antithyroglobuline et antithyroperoxydase.

Connectivite mixte

La connectivite mixte appelée aussi syndrome de Sharp associe des signes de lupus érythémateux systémique, de polymyosite et de ScS. Elle comporte un phénomène de Raynaud, des arthralgies des mains avec dérouillage matinal, des doigts boudinés et parfois une péricardite. La capillaroscopie peut montrer des mégacapillaires. Des anticorps antinucléaires de type anti-RNP sont trouvés à titre élevé. Les critères diagnostiques qui semblent les plus adaptés en pratique clinique sont ceux décrits par Alarcon-Segovia :

- des critères cliniques : doigts boudinés, synovite, myosite, phénomène de Raynaud, sclérodactylie ;

- un critère sérologique : présence d'anticorps anti-RNP à un titre élevé (> 1:1 600 en hémagglutination ou > 1:64-1:128 en immunofluorescence).

Sclérodermie systémique et grossesse

Auparavant, la ScS était considérée comme une contre-indication stricte à la grossesse mais, à l'heure actuelle, si une planification minutieuse, une surveillance étroite et un traitement approprié sont effectués, la plupart des femmes sclérodermiques peut mener une grossesse normale. Cependant, la grossesse est contre-indiquée chez des patientes ayant une cardiomyopathie sévère (fraction d'éjection < 30 %, trouble de la conduction), une HTAP, une maladie pulmonaire restrictive sévère (capacité vitale forcée < 50 %) ou une insuffisance rénale.

Les symptômes liés à la ScS, notamment le phénomène de Raynaud, sont améliorés au cours de la grossesse, mais le reflux œsophagien s'aggrave. Les complications obstétricales sont dominées par les naissances prématurées parfois liées à un retard de croissance intra-utérin ou à une pré-éclampsie. Ceux-ci pourraient être la conséquence de la vasculopathie affectant les patientes ayant une ScS ou liés à la présence d'anticorps antiphopholipides. La complication la plus redoutable, durant une grossesse de ScS, est la crise rénale sclérodermique potentiellement mortelle. Afin d'éviter les complications, les grossesses de ScS devraient être prévues lorsque la maladie est stable, depuis au moins 4 ans, et évitées dans les formes diffuses rapidement progressives, car ces patientes sont plus à risque de développer des complications graves cardiopulmonaires et rénales. Actuellement avec une gestion rigoureuse, une histoire de crise rénale, ne représente pas une contre-indication à la grossesse à venir à condition que la maladie ait été stable pendant plusieurs années avant la grossesse.

Sclérodermie et cancers

La majorité des études suggère que le risque relatif de cancer est augmenté au cours de la ScS. La quantification de ce risque ainsi que le type de cancer concerné peuvent varier selon les études. Jusque récemment, le seul cancer pour lequel le consensus sur un sur-risque significatif est le plus large est le cancer du poumon, notamment en cas de fibrose pulmonaire ou de tabagisme. Cependant, de façon récente, une association de ScS diffuses débutantes avec anticorps anti-ARN polymérase III et de néoplasies de découverte concomitante a été décrite.

Diagnostic différentiel

Les syndromes sclérodermiformes se définissent par la présence d'une sclérose cutanée. Ils regroupent le scléromyxœdème, sclérœdème de Buschke, la dermopathie fibrosante néphrogénique (ou fibrose systémique néphrogénique), le syndrome POEMS (polyneuropathie, organomégalie, endocrinopathie, dysglobulinémie et anomalies cutanées), l'amylose primitive, la réaction chronique du greffon contre l'hôte, la fasciite avec éosinophilie (syndrome de Shulman) et les atteintes secondaires à des médicaments ou des toxiques. Les syndromes sclérodermiformes acquis, localisés ou diffus, se définissent par la présence d'une sclérose cutanée, se distinguent de la ScS le plus souvent par une faible prévalence des atteintes systémiques extracutanées, l'absence d'un phénomène de Raynaud, d'anticorps antinucléaires et d'anomalies à la capillaroscopie. Les états pseudo-sclérodermiques comprennent différentes affections comme l'acrodermatite atrophiante et la fasciite palmaire associée à une polyarthrite qui réalise une induration et/ou un certain degré d'atrophie cutanée en l'absence de fibrose histologique identifiable ou significative. Plusieurs affections héréditaires cutanées sclérodermiformes peuvent être diagnostiquées à l'âge adulte comme le syndrome de Werner (syndrome de vieillissement précoce).

Évolution et pronostic

La survie globale des patients atteints de ScS est de l'ordre de 75 à 80 % à 5 ans, de 55 % à 10 ans, de 35 à 40 % à 15 ans et de 25 à 30 % à 20 ans. Une récente étude a analysé les causes de mortalité et les facteurs de risque de ScS suivis de façon prospective par la Ligue européenne contre le rhumatisme (EUSTAR). Cette cohorte a révélé que 55 % des décès ont été attribués directement à la ScS (fibrose pulmonaire, HTAP et causes cardiaques) et 41 % à des causes non ScS (infections opportunistes, tumeurs malignes et causes cardiovasculaires).

Il apparaît dans une analyse pronostique que l'étendue de la maladie mesurée par TDM HR pourrait être un facteur prédictif de déclin de la capacité vitale forcée (CVF), de la DLCO et de la survie [4]. Ainsi les auteurs ont pu discriminer les patients ayant une atteinte modérée du parenchyme pulmonaire (< 20 % du parenchyme atteint) et ceux ayant une atteinte sévère (> 20 % du parenchyme atteint), forme associée à un risque de décès plus élevé [9].

Dans les cas indéterminés, en classant les patients ScS avec pneumopathie interstitielle diffuse en sous-groupe atteinte « limitée » (lésions minimes en TDM HR ou CVF  70 %) et « étendue » (atteintes sévères en TDM HR ou CVF < 70 %), l'équipe de Goh était également en mesure de stratifier le risque de décès. Ces données sont en accord avec les résultats ScS où la gravité de la fibrose de référence a eu une forte influence sur la réponse au traitement. En l'absence de biomarqueurs robustes définissant les patients susceptibles de progression, ce système de classification pourrait être utile dans la gestion de la pneumopathie interstitielle diffuse sclérodermique.

Les facteurs de risque indépendants de la mortalité comprennent la protéinurie, la présence de l'HTAP, la CVF au-dessous de 80 % de la normale, la baisse de la DLCO, l'âge du patient au moment d'apparition de phénomène de Raynaud et le score de Rodnan modifié. Les variables épidémiologiques associées à un mauvais pronostic sont le sexe masculin et un âge de début élevé. Les variables biologiques comprennent, une anémie, une vitesse de sédimentation accélérée, un sédiment urinaire anormal, une hypergammaglobulinémie et des anticorps anti-topo-isomérase I (Scl-70). Certains auto-anticorps antinucléaires sont associés à des manifestations cliniques graves : ainsi les anticentromères sont associés au risque d'HTAP tardive, les anti-topo-isomérase I (Scl-70) à la fibrose pulmonaire, les anti-ARN polymérase III au risque d'HTA rénovasculaire (crise rénale sclérodermique). Le pronostic vital est directement lié au type d'auto-anticorps.

Traitement

Il n'y a pas à ce jour de traitement curatif étiologique de la ScS. Aucun traitement antifibrotique n'a jusqu'ici démontré son efficacité dans la ScS. La prise en charge des patients sclérodermiques s'appuie sur le traitement des complications, sur un traitement immunosuppresseur en cas d'atteinte cutanée ou pulmonaire sévère et également de mesures non pharmacologiques (Tableau S03-P01-C05-III).

Tableau S03-P01-C05-III Prise en charge thérapeutique des manifestations de la sclérodermie systémique.

Manifestations

Traitement

Pneumopathie interstitielle diffuse

Oxygénothérapie

Inhibiteurs de la pompe à protons

Prednisone, 10 mg/j

Cyclophosphamide IV (si aggravation)

Mycophénolate mofétil

Rituximab

Transplantation bipulmonaire

Hypertension artérielle pulmonaire

Oxygénothérapie

Diurétiques

Anticoagulation discutée

ERA-1

Inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5

Analogues de prostacycline

Traitements combinés

Atrioseptotomie

Transplantation pulmonaire

Atteinte cardiaque

Inhibiteurs calciques

Inhibiteurs de l'enzyme de converstion

Diurétiques

Anti-arythmiques (vérapamil, amiodarone)

Pacemaker

Crise rénale sclérodermique

Inhibiteurs de l'enzyme de conversion (ne pas utiliser en prévention)

Inhibiteurs calciques IV

Épuration extrarénale

Transplantation rénale

Atteinte vasculaire périphérique

Inhibiteurs calciques

Analogues de la prostacycline

Bosentan (prévention des ulcères digitaux)

Atteinte digestive

Œsophage : inhibiteurs de la pompe à protons et prokinétiques

Estomac : érythrocine 125 mg 2 fois par jour

Grêle : ocréotide, antibiotiques (pullulation microbienne)

Atteinte articulaire

AINS

Prednisone à faible dose (7,5 mg/j)

Méthotrexate

Myopathie inflammatoire

Prednisone < 15 mg/j

Méthotrexate

AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; ERA-1 : antagoniste du récepteur de l'endothéline 1.

Traitement des complications

Sclérose cutanée

Dans les formes diffuses de la maladie, la fibrose cutanée s'accentue durant les trois à cinq premières années puis se stabilise et ensuite régresse progressivement. Cela justifie qu'il soit impossible de démontrer l'efficacité d'un quelconque médicament sans molécule de référence. Une corticothérapie orale à une dose inférieure de 15 mg/j d'équivalent prednisone est proposée. La colchicine est utilisée sans que son efficacité soit clairement démontrée. Par ailleurs, le calcitriol est utilisé dans la ScS en l'absence d'étude randomisée. Des essais cliniques randomisés avec le méthotrexate et le cyclophosphamide ont amélioré les changements de la peau chez les patients sclérodermiques. D'autres agents tels que le mycophénolate mofétil, l'azathioprine ou la ciclosporine sont utilisés pour traiter l'atteinte cutanée, bien que leur efficacité n'ait pas été étudiée de façon extensive, ils semblent en revanche, intéressants en relais.

Phénomène de Raynaud

Les mesures préventives peuvent être très efficaces : protection contre le froid, vis-à-vis de l'humidité, port de gants de soie sous des gants de laine ou en polaire, bonne isolation des pieds et port de vêtements chauds, en protégeant le cou et la tête. Le tabac doit être arrêté.

Certains médicaments favorisant les accès de Raynaud ou aggravant l'ischémie digitale doivent être évités : bêtabloquants (même en collyre), dérivés de l'ergot de seigle, antimigraineux, bromocriptine, clonidine, interféron α et certaines chimiothérapies (bléomycine et vinblastine).

La nifédipine doit être employée dans le traitement de phénomènes de Raynaud. Le losartan, l'iloprost ont eux aussi montré leur efficacité dans cette indication.

Ulcères digitaux

Le traitement des ulcères digitaux ischémiques de la ScS est d'abord préventif : éviter les activités à risque de blessure ou de coupure des extrémités, bonne hygiène cutanée et unguéale, protection et hydratation des doigts. L'arrêt du tabac est un objectif majeur. En cas d'ulcérations évolutives, des soins locaux doivent être réalisés. Une détersion mécanique peut être nécessaire après un lavage à l'eau et au savon. Une amputation limitée spontanée ou chirurgicale est possible.

L'iloprost a une certaine efficacité en cas d'ulcérations compliquant un phénomène de Raynaud sévère en favorisant la cicatrisation. En revanche, la prescription du sildénafil ne permet pas d'accélérer la cicatrisation des ulcérations digitales constituées. Le bosentan est utilisé en prévention secondaire en cas d'ulcères digitaux récidivants.

Atteinte interstitielle pulmonaire

Dans cette indication, le traitement immunosuppresseur doit être envisagé principalement :

- à une phase précoce suivant le diagnostic si la CVF a diminué de plus 10 % dans les deux à trois mois ;

- ou en cas de lésions modérées à sévères sur la tomodensitométrie thoracique ou si la CVF est inférieure à 70 % au diagnostic [6].

Le cyclophosphamide est utilisé en intraveineux en bolus mensuels pendant 6 mois à la dose de 0,7 g/m2 en association à une faible corticothérapie. Le cyclophosphamide est pour le moment la base du traitement des pneumopathies interstitielles diffuses étendues ou évolutives de la ScS. Le mycophénolate mofétil est utilisé en relais en raison de son efficacité et de sa bonne tolérance, mais semblerait avoir une efficacité comparable au cyclophosphamide en première intention selon des données récentes. Cela est assez souvent associé à l'oxygénothérapie, à la kinésithérapie respiratoire afin d'améliorer la composante restrictive qui pourrait être liée à la sclérose cutanée thoracique. Au stade d'insuffisance respiratoire chronique sévère, la transplantation pulmonaire est à discuter.

Hypertension artérielle pulmonaire

L'HTAP compliquant une ScS ne répond pas aux traitements immunosuppresseurs, à la différence de l'HTAP associée aux autres connectivites, sa prise en charge est donc spécifique. Des traitements spécifiques de l'HTAP sont donc associés :

- les analogues de la prostacycline : la molécule la plus anciennement utilisée est l'époprosténol, administrée par voie intraveineuse en continu sur une voie veineuse centrale. Le tréprostinil s'administre par voie sous-cutanée et l'iloprost peut être administré en aérosol, ce qui lui donne une meilleure spécificité pour la circulation pulmonaire. Les effets secondaires principaux des analogues de la prostacycline sont des céphalées, des flushs et des nausées ;

- les antagonistes des récepteurs de l'endothéline 1 (ET-1). Ils s'administrent par voie orale : le bosentan, l'ambrisentan et le macitentan ;

- les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (PDE5) : le sildénafil et le tadalafil s'administrent tout deux par voie orale ;

- un inhibiteur de guanylate cyclase (riociguat) est également validé dans le traitement de l'HTAP de la ScS. Ce traitement exige de ne pas prescrire d'inhibiteur de PDE5 concomitant ;

- la transplantation bipulmonaire ou cardiopulmonaire constitue l'alternative thérapeutique ultime chez les patients ne présentant pas de contre-indication et qui sont réfractaires à une trithérapie. L'atrioseptostomie est, quant à elle, une mesure palliative.

En cas d'hypoxémie et de surcharge hydrosodée, l'oxygénothérapie et les diurétiques de l'anse sont des traitements indispensables. En revanche, l'anticoagulation systématique ne semble pas apporter de réel bénéfice et n'est proposée qu'en cas d'HTAP sévère (NYHA III et IV). Dans ce cas, l'INR cible est entre 1,5 et 2,5.

Atteinte rénale

Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC), comme le captopril ou l'énalapril, ont permis d'améliorer la survie au décours de cette complication. Le captopril est le traitement de référence, mais d'autres IEC peuvent être employés à pleine dose d'emblée comme l'énalapril, le périndopril ou le fosinopril. Ils n'ont pas de place en prophylaxie d'une crise rénale sclérodermique.

Atteinte digestive

Les traitements n'empêchent pas la progression des atteintes digestives mais doivent surtout permettre d'éviter la dénutrition. La prise en charge initiale doit donc être diététique.

En plus des mesures posturales pour limiter le reflux gastro-œsophagien et l'œsophagite, l'utilisation d'inhibiteurs de pompe à protons (oméprazole ou lansoprazole) fait l'objet d'un consensus. Les pansements digestifs sont des appoints utiles en cas de reflux gastro-œsophagien symptomatique. Les agents prokinétiques comme la dompéridone peuvent aussi être prescrits 30 minutes avant chaque repas, en particulier chez les patients ayant un reflux sévère.

En cas de gastroparésie, l'érythromycine a un effet prokinétique sur l'estomac, plus marqué par voie intraveineuse que par voie orale. L'octréotide (analogue de la somatostatine) peut être proposé en injections sous-cutanées quotidiennes en cas d'atteinte du grêle avec un aspect de pseudo-obstruction intestinale chronique. Un traitement antibiotique est proposé en cas de pullulation microbienne. La prise en charge des lésions muqueuses hémorragiques nécessite un traitement endoscopique, voire chirurgical.

Appareil locomoteur

Les arthromyalgies parfois observées au cours de la ScS peuvent répondre aux antalgiques, aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, voire à la corticothérapie à une dose maximum de 10 mg/j d'équivalent prednisone en cas d'inefficacité des deux premiers. D'authentiques polyarthrites peuvent nécessiter la mise en place d'un traitement de fond par méthotrexate. En revanche, il n'est pas conseillé d'utiliser d'anti-TNF-α (tumor necrosis factor) en cas de pneumopathie interstitielle diffuse au risque d'aggraver l'atteinte pulmonaire, mais plutôt du rituximab dans cette indication.

Atteinte myocardique

Le traitement symptomatique repose sur les IEC afin de lutter contre les phénomènes ischémiques et sur les inhibiteurs calciques de type dihydropyridine parfois à doses élevées qui peuvent améliorer la réserve coronaire. L'amiodarone est l'anti-arythmique à préférer aux bêtabloquants qui peuvent aggraver le phénomène de Raynaud, mais il ne faut toutefois pas méconnaître le risque de pneumopathie interstitielle diffuse. Un bloc auriculoventriculaire devra être appareillé.

Traitements immunosuppresseurs et biothérapies

Ces traitements généraux sont pour la grande majorité destinés au traitement de l'atteinte cutanée et de la pneumopathie interstitielle diffuse. L'efficacité de ces traitements a essentiellement été jugée sur l'évolution des scores cutanés ; ils doivent être réservés aux ScS diffuses récentes (< 3 à 5 ans) ou évolutives.

Corticothérapie par voie générale

Si la corticothérapie est bénéfique dans les cas de ScS aiguës œdémateuses, le risque accru de crise rénale sclérodermique doit en limiter l'utilisation à moins de 15 mg/j avec une surveillance étroite de la pression artérielle et de la fonction rénale. La corticothérapie peut améliorer les manifestations articulaires, musculaires, voire cardiaques ou pulmonaires. Elle peut cependant retarder la cicatrisation des troubles trophiques digitaux.

Méthotrexate

Actuellement, le méthotrexate est le traitement de choix chez les patients atteints de ScS/myosite ou ScS/syndromes de chevauchement avec polyarthrite. L'analyse de trois études l'évaluant dans la ScS conclut que les preuves actuelles suggèrent que le méthotrexate est décevant dans le traitement des patients atteints de ScS, avec un faible effet sur l'atteinte cutanée [5]. Selon les recommandations de l'EULAR, le méthotrexate peut être envisagé pour le traitement des manifestations cutanées précoces de ScS cutanées à la dose de 15 mg par semaine par voie orale.

Cyclophosphamide

Le cyclophosphamide est un agent alkylant qui a montré dans plusieurs études pilotes qu'il semblait améliorer l'atteinte cutanée, parfois l'atteinte pulmonaire interstitielle. Selon les recommandations de l'EULAR et compte tenu des résultats, à partir de deux essais cliniques randomisés, et en dépit de sa toxicité connue, le cyclophosphamide doit être considéré pour le traitement de la maladie pulmonaire inter-stitielle liée à ScS.

Mycophénolate mofétil

Dans une étude pilote, ont été associés successivement du sérum antilymphocytaire pendant 5 jours et 1 an de mycophénolate mofétil chez treize malades atteints de formes diffuses de ScS de deux ans d'évolution [8]. Il a été observé une amélioration cutanée en absence de complications viscérales. Actuellement, cette molécule est utilisée pour traiter l'atteinte interstitielle pulmonaire en relais du cyclophosphamide ; cependant, des données récentes issues d'un essai randomisé suggèrent une efficacité comparable du mycophénolate mofétil et du cyclophosphamide dans le traitement de première intention des pneumopathies interstitielles diffuses évolutives. La tolérance de ce traitement (diarrhées) chez ces patients ayant des troubles digestifs est plutôt bonne.

Azathioprine

Elle pourrait être proposée comme le mycophénolate mofétil en relais des bolus de cyclophosphamide dans le traitement des atteintes interstitielles pulmonaires de la ScS.

Rituximab

Seule une étude randomisée contre placebo (rituximab seul versus rituximab associé à une thérapie standard) a montré une amélioration significative de la CVF, de la DLCO et du score de Rodnan modifié (mRSS). Compte tenu des résultats encourageants dans des études cliniques et le ratio risque/bénéfice favorable, des études multicentriques à grande échelle sont justifiées.

Abatacept

L'inhibition de l'activation et de la prolifération des lymphocytes T par l'abatacept pourrait apporter un bénéfice en sus des autres traitements dans la prise en charge des ScS cutanées diffuses progressives.

Tocilizumab

Il a été mis en évidence, dans une étude de phase II, une tendance à l'amélioration du score cutané des patients sclérodermiques sous tocilizumab contre placebo.

Autogreffe de cellules souches hématopoïétiques

Dans les essais de phases I/II, la greffe de cellules souches autologues hématopoïétiques (CSH) a démontré, comparativement au cyclophosphamide intraveineux, une amélioration à 2 ans du score de Rodnan modifié et une amélioration de la CVF, tandis que la procédure initiale était associée à une morbidité plus importante. Les résultats des essais en cours devraient clarifier le rôle de l'autogreffe dans l'arsenal thérapeutique actuellement limité de ScS sévère.

Autres traitements systémiques

Colchicine

Elle est utilisée depuis trois décennies chez les malades ScS. Cependant, son efficacité dans le traitement des atteintes cutanées ou des manifestations inflammatoires de calcinose n'a jamais été démontrée.

Anticorps monoclonaux anti-TGF-β

Dans une étude récente menée sur 15 patients, l'administration d'un anticorps monoclonal anti-TGF-β (transforming growth factor β), le fresolimumab a permis une amélioration du score cutané et une régression de l'infiltration de la peau par les myofibroblastes.

Anti-TNF-α

Ils pourraient améliorer les atteintes articulaires inflammatoires dans la ScS. Cependant leur rôle bénéfique n'est absolument pas démontré à ce jour. Des aggravations de fibroses pulmonaires ont même été décrites sous ce traitement.

Autres mesures non pharmacologiques

La ScS est une pathologie complexe et son polymorphisme clinique nécessite une prise en charge multidisciplinaire. L'éducation du patient est primordiale. Certaines mesures non pharmacologiques sont impératives, notamment l'arrêt du tabac, délétère sur le plan pulmonaire et vasculaire. Il semble qu'un programme de rééducation fonctionnelle puisse améliorer l'ouverture buccale et le handicap de la main. La modification de l'image de soi provoquée par cette maladie chronique nécessite souvent une prise en charge psychologique adaptée car la réaction anxieuse et des troubles dépressifs y sont fréquents.

Conclusion

En conclusion, la ScS est une maladie auto-immune systémique sévère dont le pronostic est réservé. En dehors de la prise en charge de certaines atteintes vasculaires comme l'hypertension artérielle pulmonaire, la crise rénale ou les ulcères digitaux, le traitement de fond de la maladie reste très difficile. Dans les formes sévères, la greffe de cellules souches et certaines biothérapies pourraient représenter une perspective.

Bibliographie

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Toute référence à cet article doit porter la mention : Benmostefa N, Legendre P, Mouthon L. Sclérodermie systémique. In : L Guillevin, L Mouthon, H Lévesque. Traité de médecine, 5e éd. Paris, TdM Éditions, 2018-S03-P01-C05 : 1-12.