S04-P03-C08 Syndromes lymphoprolifératifs : Myélome

S04-P03-C08 Syndromes lymphoprolifératifs : Myélome

Hématologie

Michel LEPORRIER

Chapitre S04-P03-C08 – Partie V

Syndromes lymphoprolifératifs

Partie I : Leucémie lymphoïde chronique

Partie II : Syndromes de prolifération à grands lymphocytes granuleux

Partie III : Leucémie à tricholeucocytes

Partie IV : Macroglobulinémie de Waldenström

Partie V : Myélome

Partie VI : Immunoglobulines monoclonales de signification indéterminée

Partie VII : Maladie des chaînes lourdes

Partie VIII : Lymphomes non hodgkiniens de l’adulte

Partie IX : Lymphome de Hodgkin

Partie V : Myélome

Jean-Paul Fermand

Le myélome multiple, ou maladie de Kahler, est une maladie maligne caractérisée par le développement clonal de plasmocytes dans la moelle osseuse. L’étude de cette maladie a suscité un grand intérêt pour plusieurs raisons [149] :

– elle a fourni les outils pour comprendre la structure des anticorps ;

– elle a été à l’origine du concept de clonalité, l’immunoglobuline monoclonale produite par les plasmocytes anormaux représentant un marqueur tumoral quasi idéal ;

– elle a illustré l’importance des relations entre cellules tumorales et micro-environnement ;

– les approches modernes utilisant les outils de la biologie moléculaire ont apporté des informations essentielles concernant les mécanismes de progression tumorale et de réponse aux traitements.

Parallèlement, le développement des stratégies de traitements intensifs et de greffe de cellules souches hématopoïétiques et la disponibilité de médicaments de plus en plus efficaces ont contribué à en améliorer le pronostic.

Épidémiologie [148]

Le myélome multiple rend compte d’environ 1 % de l’ensemble des cancers et de 10 à 15 % des hémopathies malignes, dont il est la seconde cause par ordre de fréquence, après les lymphomes non hodgkiniens. L’âge médian au diagnostic est de 62 ans, 2 % des malades sont âgés de moins de 40 ans. La prévalence de la maladie est de 7 pour 100 000 chez l’homme et de 4,6 pour 100 000 chez la femme. Elle est environ 2 fois plus élevée chez les noirs que chez les blancs.

Si la survenue de cas familiaux est bien établie, les facteurs de prédisposition génétique aux myélomes multiples et à l’ensemble des immunoglobulines monoclonales restent à préciser [153]. De même, il existe certainement des facteurs d’environnement dont le seul bien documenté est l’exposition aux radiations ionisantes. Le travail en milieu rural, peut-être du fait de l’utilisation de pesticides, pourrait avoir un rôle, à la différence de l’exposition aux dérivés benzéniques.

Physiopathologie

Aspects cellulaires [124, 158]

Le clone de plasmocytes tumoraux qui caractérise le myélome multiple interagit avec les cellules stromales de la moelle osseuse. Cette interaction aboutit à modifier l’environnement médullaire par le biais d’un réseau de cytokines/chimiokines anormalement produites par l’un des deux types cellulaires au contact de l’autre. Ce réseau a plusieurs conséquences :

– il favorise le développement tumoral, plus en inhibant l’apoptose qu’en stimulant la croissance plasmocytaire. Les principales cytokines impliquées sont ici l’interleukine 6 (IL-6) et l’IGF-1 (insuline growth factor 1) ;

– il entraîne une hypervascularisation liée à des facteurs angiogènes comme le VEGF (vascular endothelial growth factor) ;

– il s’accompagne de l’hyperproduction de cytokines immunosuppressives comme le TGF-β et l’IL-10, expliquant, au moins en partie, le déficit immunitaire et les risques infectieux associés à la maladie ;

– les mêmes et d’autres cyto-/chimiokines inhibent l’hématopoïèse, particulièrement l’érythropoïèse, d’ou la fréquence d’une anémie. Celle-ci est également liée à des signaux de mort cellulaire transmis par contact, via le système Fas-FasL, aux précurseurs érythroïdes ;

– enfin, le réseau de médiateurs inclut des OAF (osteoclast activating factors) à l’origine des lésions osseuses ostéolytiques caractéristiques de la maladie. Celles-ci sont principalement dues à l’emballement du système RANK/RANKL régulant le fonctionnement des ostéoclastes.

Dans l’environnement médullaire myélomateux, RANKL est sur-exprimé par différents types cellulaires, dont les ostéoblastes, et son inhibiteur naturel, l’ostéoprotégérine, est non fonctionnel, littéralement « phagocyté » par les plasmocytes anormaux. Des chimiokines pro-ostéoclastes (MIP-1α et β) accentuent encore l’hyperactivité ostéoclastique. En parallèle, la construction osseuse est freinée par l’action d’un inhibiteur de l’activité des ostéoblastes, la molécule DKK, dont l’importance physiologique a été découverte à partir de l’étude des myélomes multiples.

Oncogenèse et génétique [127, 130, 146, 154]

Deux études épidémiologiques montrent que la maladie débute par une phase de latence caractérisée par la présence d’une immunoglobuline monoclonale de signification indéterminée (GMSI), suivie de l’émergence secondaire de la prolifération plasmocytaire authentiquement tumorale qui caractérise la maladie. Deux types d’anomalies génétiques, retrouvées à la fois dans les plasmocytes des GMSI et des myélomes multiples, paraissent avoir la signification d’événements oncogènes primitifs, fondateurs : un excès de matériel chromosomique (hyperdiploïdie) et une translocation impliquant le chromosome 14, au niveau du locus des chaînes lourdes d’immunoglobulines. L’hyperdiploïdie est le plus souvent liée au gain d’un chromosome de numéro impair. Les translocations 14q, impliquant différents chromosomes partenaires, transposent sous le contrôle des systèmes de commande des gènes des immunoglobulines un (parfois deux) oncogène(s) dont l’expression est ainsi dérégulée. Plusieurs oncogènes sont concernés dans les GMSI et les myélomes multiples avec translocation 14q. C’est le cas du gène de la cycline D1 activé par t(11;14), en cause dans 15 % des myélomes multiples, des deux gènes MMSET et FGFR3 en cas de t(4;14), dans 15 % des cas également. D’autres translocations sont moins fréquentes : t(6;14) fusionne 14q avec la cycline D3 (2 % des cas), t(14,16) avec MAF (5 % des cas) et t(8;14) avec MAFB dans 2 % des cas.

Les myélomes multiples avec translocations 14q proviennent probablement d’un accident survenu au cours de la réponse lymphocytaire B à un antigène, au niveau du centre germinatif d’un ganglion. En effet, le point de cassure sur le chromosome 14 se trouve dans la région impliquée dans la commutation isotypique qui permet aux lymphocytes B sélectionnés après contact avec un antigène de modifier l’isotype de l’anticorps spécifique qu’ils vont produire. En revanche, l’événement déclenchant les myélomes multiples avec hyperdiploïdie n’est pas connu.

Après la constitution d’une translocation 14q ou d’une hyperdiploïdie, les cellules du clone anormal sont susceptibles de subir des événements génétiques secondaires dont l’accumulation progressive modifie la cinétique de la prolifération. Ainsi, à une période de GMSI peut succéder un myélome multiple indolent, puis un myélome multiple symptomatique « classique », intramédullaire, puis, éventuellement, un myélome multiple agressif avec localisation extramédullaire, voire une leucémie à plasmocytes. Ce processus de progression par étapes fait probablement intervenir de très nombreuses translocations, délétions et mutations, les principales impliquant les oncogènes MYC, RAS et TP53, ainsi que les gènes de la voie NFKB.

Les études cytogénétiques et par des techniques de FISH (fluorescence in situ hybridization) (voir chapitre S04-P01-C05) des plasmocytes de cohortes de myélomes multiples symptomatiques traités de façon uniforme montrent que la nature de l’événement oncogène primitif influence le pronostic. Celui des myélomes multiples hyper-diploïdes est globalement bon, alors que les myélomes multiples avec translocation 14q ont un pronostic variable, certains étant à haut risque comme les myélomes multiples avec t(4;14) et t(14;16), d’autres ayant une survie plus longue comme les myélomes multiples avec t(11;14). Parmi les événements oncogènes secondaires, la délétion complète ou partielle du chromosome 17 (dans sa région p13, impliquant l’oncogèneTP53) a une signification très péjorative. L’impact de la délétion du chromosome 13 (région q14), un moment considérée comme important, est à nuancer du fait de la fréquence de son association à la translocation t(4;14). Ces données, validées à l’échelon statistique, définissent différents sous-groupes de myélome multiple qui, cependant, sont encore hétérogènes. Les techniques modernes d’analyse du génome, incluant maintenant son séquençage en entier, devraient permettre de mieux préciser la nature des événements oncogènes initiaux et de comprendre les mécanismes qui les relient à l’agressivité ultérieure de la maladie, avec pour objectif la mise au point de traitements adaptés à la physiopathologie et à l’évolution des différents myélomes multiples.

Diagnostic [131, 132, 148, 159]

Le diagnostic de myélome ne soulève en règle générale aucune difficulté, si les manifestations révélatrices sont interprétées avec rigueur. Les signes de la maladie sont humoraux (liés à la présence d’un composant monoclonal sérique et/ou urinaire) et tumoraux, traduction de la prolifération plasmocytaire principalement osseuse. Le myélome multiple est souvent cliniquement asymptomatique, révélé par une augmentation de la vitesse de sédimentation, situation qui justifie une électrophorèse des protéines sériques, surtout en l’absence de signes cliniques ou biologiques d’inflammation (protéine C réactive et/ou fibrinémie normales). Ailleurs, la maladie se traduit par une altération de l’état général avec des signes d’anémie et des douleurs osseuses. Parfois, ce sont les complications osseuses (fractures pathologiques, hypercalcémie), neurologiques (compression médullaire), mais aussi rénales et infectieuses qui révèlent la maladie. Devant ces circonstances très diverses, il est impératif d’évoquer un myélome multiple et de chercher à identifier une immunoglobuline monoclonale.

Anomalies des immunoglobulines

La simple électrophorèse des protéines du sérum est l’examen essentiel. Dans plus de trois quarts des cas, elle montre la bande étroite (aspect de pic sur le tracé) liée à la migration homogène en position β (ou, éventualité plus rare, en α2) des molécules de l’immunoglobuline monoclonale produite par les plasmocytes tumoraux. Elle indique une diminution quasi constante du taux des immunoglobulines polyclonales normales, bien visible sur la bandelette de migration. L’électrophorèse permet également de quantifier le taux de l’immunoglobuline monoclonale, indirectement (somme des γ– ou des β + pic, l’abaissement des immunoglobulines « normales » migrant dans ces zones ne constituant donc pas une surévaluation significative de l’importance du pic) ou plus directement (intégration du pic à partir du tracé), données beaucoup plus fiables que le dosage néphélémétrique du taux du pic pour suivre l’évolution.

Lorsqu’il ne montre pas de bande étroite, le tracé électrophorétique montre constamment une hypogammaglobulinémie, situation qui justifie, lorsqu’elle paraît acquise, de chercher une hémopathie lympho- et/ou plasmocytaire, tout particulièrement un myélome multiple sécrétant uniquement des chaînes légères. Complétant l’électrophorèse, l’immunofixation est un peu plus sensible pour déceler une immunoglobuline monoclonale entière de faible taux. Surtout, elle identifie l’isotype des chaînes lourdes et légères qui la constituent.

La recherche d’une protéinurie est systématique. Elle a été caractérisée autrefois par le phénomène de thermoredissolutuion à 56 °C (phénomène de Bence-Jones). Les chaînes légères étant mal décelées par les bandelettes urinaires, elle doit être effectuée par précipitation à l’acide sulfosalicylique. Lorsqu’elle est positive, l’électrophorèse des protéines urinaires montre qu’elle est quasi uniquement constituée d’un type de chaîne légère, et l’immunofixation sur urines concentrées en identifie le type κ ou λ. L’étude d’un échantillon d’urines 100 fois concentrées et le dosage des chaînes légères libres du sérum par néphélémétrie sont indispensables pour valider le diagnostic d’un authentique myélome multiple non sécrétant. Le suivi de faibles taux d’immunoglobulines monoclonales entières et, encore plus, celui des chaînes légères urinaires étant difficile, le dosage des chaînes légères libres sériques facilite souvent la prise en charge des myélomes multiples non ou peu excrétants et des myélomes multiples à chaînes légères [134].

Signes hématologiques

Le diagnostic de myélome multiple repose sur la présence d’un excès de plasmocytes, qui doit, pour être significatif, représenter plus de 10 % de l’ensemble des cellules médullaires. Ceux-ci sont le plus souvent cytologiquement atypiques, l’aspect mûr du cytoplasme contrastant avec celui du noyau, peu différencié. Un immunomarquage, lorsqu’il est effectué, montre que la quasi-totalité des plasmocytes médullaires sont monotypiques, exprimant dans leur cytoplasme les mêmes isotypes de chaînes lourdes et légères que celui de l’immunoglobuline monoclonale. L’intérêt de l’appréciation du degré de prolifération de la population tumorale, par différentes techniques (immunocytologique, index de marquage), s’est estompé avec la démonstration de l’importance pronostique des anomalies moléculaires caractérisant les différentes formes de myélome multiple.

L’hémogramme montre une anémie chez environ deux tiers des malades. Leucopénie et thrombopénie sont plus rares (moins de 15 % des cas). La présence d’une érythromyélémie indique un envahissement médullaire très important (ou plus rarement un certain degré de myélofibrose). L’observation d’un petit nombre de plasmocytes circulants est relativement fréquente. Une vraie leucémie à plasmocytes (nombre de plasmocytes circulants  2 × 109/l) est rarement inaugurale, mais représente plutôt une modalité évolutive terminale [142]. L’observation, sur le frottis sanguin, de « rouleaux » de globules rouges est commune, liée à la présence de l’immunoglobuline monoclonale dans le sérum. Il en est de même de l’augmentation de la vitesse de sédimentation.

Symptômes osseux [132, 158]

Les douleurs osseuses affectent surtout le squelette axial. Elles sont fréquentes (environ trois quarts des malades au diagnostic) et invalidantes. Les clichés standard sont généralement suffisants pour déceler les lésions osseuses. L’ostéolyse prédomine là où l’hématopoïèse est la plus active, au niveau du rachis, des côtes, du bassin, du sternum, du crâne et des extrémités proximales des fémurs et humérus. Elle se traduit habituellement par un aspect déminéralisé, ostéoporotique, associé à des géodes ou lacunes, dites « à l’emporte-pièce », sans liseré de condensation périphérique, et à des fractures. Les plus fréquentes sont vertébrales, réalisant des tassements, souvent étagés, prédominant au niveau dorsolombaire, souvent dits « en galette ». Ces anomalies sont souvent associées mais il est des cas où seul un aspect de déminéralisation est apparent, difficile à différencier d’une ostéoporose commune. Dix à ving pour cent des patients n’ont pas de lésions osseuses sur les clichés standard.

La scintigraphie osseuse, moins performante que les radiographies, n’a pas d’intérêt (tout au plus montre-t-elle la présence de foyers fracturaires, bien visibles sur les clichés standard). En revanche, une IRM est indispensable à chaque fois que les données cliniques laissent craindre une complication ostéoneurologique, en particulier une compression radiculaire ou, plus encore, médullaire. Une IRM vertébrale (et du bassin, voire corps entier) systématique est justifiée au diagnostic d’un myélome multiple indolent (voir plus loin). Les anomalies de signal IRM (aspect noir sur les séquences dites T1, prise de contraste après injection d’un dérivé du gadolinium, mieux visible sur des séquences T1 avec « suppression du signal de la graisse », aspect blanc en séquences T2) reflètent l’infiltration des zones anormales par des cellules tumorales et n’ont donc rien de spécifique.

Un examen tomodensitométrique osseux (sans injection) peut être utile pour explorer un point d’appel clinique bien défini ou pour vérifier la stabilité de lésions vertébrales. La réalisation d’une TEP-TDM n’est pas justifiée pour le diagnostic et la place de cet examen pour apprécier l’évolution des lésions osseuses sous traitement reste à établir.

Complications

Le myélome expose à diverses complications qui peuvent être liées au processus tumoral, au déficit immunitaire humoral constant, ou dépendre de l’immunoglobuline monoclonale entière ou à l’une de ses chaînes, le plus souvent la chaîne légère.

Complications tumorales

L’hyper-résorption osseuse qui caractérise le myélome multiple peut entraîner une hypercalcémie, révélatrice (pour environ un tiers des myélomes multiples symptomatiques) ou compliquant l’évolution de la maladie. Du fait des capacités considérables d’excrétion du calcium d’un rein normal, sa survenue implique qu’il y a atteinte rénale concomitante qu’elle vient amplifier par les signes digestifs et la déshydratation qu’elle entraîne.

Une compression médullaire et/ou radiculaire complique l’évolution d’environ 10 % des myélomes multiples. Elle résulte habituellement d’une épidurite par envahissement des feuillets méningés à partir d’une localisation plasmocytaire vertébrale ou costale. Souvent annoncée par un syndrome radiculaire, elle est une des grandes urgences susceptibles de révéler la maladie, avec l’hypercalcémie et l’insuffisance rénale aiguë. D’autres tumeurs plasmocytaires de localisation variée, éventuellement intracrâniennes, parfois compressives, peuvent résulter de l’extension d’une lésion osseuse.

La dissémination de plasmocytes tumoraux, en dehors de la moelle osseuse et de l’os par voie hématogène, est rarement révélatrice, mais fréquente au cours de l’évolution. Dans ce cas, la maladie a souvent une présentation agressive, proche de celle d’un lymphome, avec augmentation des LDH, plasmocytes circulants et signes généraux. En dehors de cette situation, les myélomes multiples fébriles sont exceptionnels et toute fièvre doit faire rechercher une complication infectieuse.

Complications infectieuses [156]

L’incidence des infections sévères au cours du myélome multiple est estimée comme étant 15 fois supérieure à celle d’une population contrôle. La mortalité d’origine infectieuse reste très importante, même si elle est imparfaitement évaluée (entre 15 et 80 %).

Le déficit immunitaire humoral que présente la quasi-totalité des malades explique le rôle dominant des bactéries encapsulées, particulièrement de Streptococcus pneumoniæ, également à Gram négatif comme Pseudomonas. Durant les périodes de traitement, un déficit des immunités innées et cellulaires surajoute au risque bactérien un risque viral voire fungique. Les rémissions, quand elles peuvent être obtenues, s’accompagnent d’une diminution du risque infectieux (avec normalisation possible du taux des immunoglobulines polyclonales normales), mais ce risque réapparaît et s’accroît au fur et à mesure des rechutes. Les nouveaux traitements du myélome multiple, comme le bortézomib qui induit un risque spécifique d’infection herpétique, ont un impact encore imparfaitement évalué sur le profil des infections compliquant la maladie, sans paraître réduire de façon nette la morbidité et la mortalité infectieuse.

Complications liées à l’immunoglobuline monoclonale

Elles sont évoquées dans le paragraphe consacré au diagnostic des immunoglobulines monoclonales (voir « Immunoglobulines monoclonales de signification indéterminée »). Elles peuvent résulter d’une forte masse tumorale ou être indépendantes de celle-ci. Le syndrome d’hyperviscosité est beaucoup plus rare au cours du myélome que de la macroglobulinémie (voir plus haut). Il résulte de l’accumulation d’immunoglobulines monoclonales ayant tendance à polymériser, en pratique des myélomes sécrétant une IgG3 ou une IgA.

La néphropathie à cylindres myélomateux (NCM) complique toujours un myélome multiple de forte masse tumorale [145]. Elle est liée à la précipitation, dans la lumière du tubule distal du néphron, de cylindres formés par l’interaction de chaînes légères monoclonales avec la protéine de Tamm-Horsfall. Le risque est proportionnel au débit urinaire de chaînes légères, en étant particulièrement important lorsque leur excrétion dépasse 2 g/24 h. Il dépend également de facteurs qualitatifs, structurels et physicochimiques, régissant l’affinité des différentes chaînes légères pour la protéine de Tamm-Horsfall. En plus, la survenue d’une néphropathie à cylindres myélomateux est souvent déclenchée par des facteurs extrinsèques favorisant la formation des cylindres par divers mécanismes (réduction du débit tubulaire, diminution du pH, augmentation de la concentration en calcium). En pratique, les situations déclenchantes sont la déshydratation, l’hypercalcémie et l’administration de certains médicaments, dont les AINS, trop souvent prescrits en première intention devant des symptômes douloureux. Le furosémide (d’autant qu’il favorise en lui-même l’inter-action chaînes légères-Tamm-Horsfall), les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine sont également à citer. En revanche, les produits de contraste actuellement utilisés en radiologie sont moins à risque que les précédents, dès lors que sont prises des précautions, notamment d’hydratation et de diurèse, convenables lors de ces examens.

La néphropathie à cylindres myélomateux se révèle habituellement par une insuffisance rénale aiguë ou subaiguë « nue », ou accompagnée des manifestations extrarénales d’un myélome multiple de forte masse tumorale, en particulier de douleurs osseuses. Cette situation justifie une prise en charge urgente et énergique associant des mesures symptomatiques (hydratation, alcalinisation urinaire, réduction d’une hypercalcémie) à des mesures spécifiques visant à réduire rapidement la production des chaînes légères monoclonales. Moyennant ces mesures, une amélioration rénale est possible, même si elle nécessite souvent plusieurs semaines. Elle pourrait concerner plus de deux tiers des malades avec, pour ceux nécessitant l’hémodialyse, un sevrage possible dans plus d’un tiers des cas. Elle est essentielle car conditionnant le pronostic ultérieur.

Certaines complications rénales des immunoglobulines monoclonales sont liées à la nature de l’immunoglobuline elle-même, indépendantes de l’importance du clone qui les produit. Elles sont beaucoup plus fréquentes au cours des myélomes multiples indolents ou des gammapathies monoclonales de signification indéterminée (GMSI) qu’au cours des myélomes multiples symptomatiques. La plus fréquente, l’amylose immunoglobulinique AL, est envisagée au chapitre S03-P01-C37.

Formes particulières

Selon l’immunoglobuline monoclonale

La distribution des immunoglobulines monoclonales des myélomes multiples est superposable à celle de l’ensemble des immunoglobulines monoclonales (voir plus loin). Les myélomes à chaînes légères isolées se compliquent plus volontiers de néphropathies à cylindres et d’amylose AL que les autres. Ce mode de présentation, est habituel dans le cas des myélomes IgD, (moins de 2 % des cas) et seule l’immunofixation des protéines sanguines décèle l’IgD, circulante à un taux faible, en majorité à chaînes λ, à condition d’utiliser un anticorps spécifique anti-δ. L’évolution en est souvent agressive et le pronostic mauvais. Avec l’utilisation du dosage des chaînes légères libres sériques, les vrais myélomes multiples non excrétants sont devenus très rares. Les myélomes multiples IgE sont exceptionnels. La présence de deux ou plusieurs pics sur l’électrophorèse témoigne plus souvent de formes polymérisées de l’immunoglobuline monoclonale ou de la coexistence dans le sérum de l’immunoglobuline entière et de chaînes légères que de myélomes multiples authentiquement biclonaux. Les myélomes de type IgM sont rares ; ils sont caractérisés par une prolifération plasmocytaire portant la translocation t(11;14) et exprimant l’antigène CD20 (à la différence de plus de 80 % des autres myélomes multiples).

Plasmocytome solitaire

Dans moins de 10 % des cas, n’est présente qu’une lésion osseuse radiologique isolée, suggérant un plasmocytome solitaire. Par définition, ce diagnostic implique l’absence d’infiltration plasmocytaire médullaire et une IRM vertébrale normale. En outre, le taux d’immunoglobuline monoclonale éventuelle doit être faible, sans diminution du taux des immunoglobulines polyclonales normales. La reconnaissance de cette situation est essentielle, car une irradiation localisée, à dose suffisante (en principe au moins 40 Gy) peut éliminer le processus clonal. Pour espérer la guérison, la disparition de l’immunoglobuline monoclonale, quand elle est présente, est un argument nécessaire (mais pas suffisant). Bien souvent, l’évolution montre que le processus était moins localisé qu’en apparence, avec apparition de nouvelles lésions ostéolytiques ou d’un authentique myélome multiple, parfois après un délai de plusieurs années.

Les plasmocytes solitaires extra-osseux (ou extramédullaires) ont une histoire naturelle différente, n’évoluant vers un myélome multiple que dans moins de 20 % des cas. La majorité se situe au niveau des voies aériennes supérieures, particulièrement du nasopharynx et de la cavité buccale. D’autres localisations sont possibles, notamment pulmonaire, ganglionnaire, splénique, rénale et digestive (estomac). Un traitement local en permet la guérison dans la grande majorité des cas.

Myélomes ostéocondensants

Rarement, les lésions osseuses sont globalement ostéocondensantes ou mixtes, incluant des zones ostéosclérotiques. Cette situation doit faire rechercher une neuropathie associée, habituellement intégrée dans le cadre d’un syndrome POEMS (polyneuropathie, organomégalie, endocrinopathie, protéine monoclonale, sclérose cutanée, voir chapitre S03-P01-C38).

Traitement

Les progrès récents dans le traitement du myélome sont venus de l’intensification des doses de chimiothérapie et de la découverte plus ou moins empirique de l’efficacité de deux principales classes de médicaments, les inhibiteurs du protéasome et les « imid » (immuno-modulatory drugs, médicaments immunomodulateurs), venus renforcer un arsenal auparavant représenté presque uniquement par les agents alkylants, en particulier le melphalan, et les fortes doses de corticoïdes. L’amélioration des traitements symptomatiques, incluant une meilleure prise en charge de la maladie osseuse, a aussi contribué à l’amélioration des résultats. Les stratégies thérapeutiques actuelles dépendent de l’âge (physiologique) des patients. Jusqu’à 65 ans, le traitement de référence est fondé sur une réduction tumorale initiale, un traitement intensif suivi d’autogreffe, suivie de séquences de consolidation utilisant les nouveaux médicaments. Pour les malades plus âgés, les chimiothérapies utilisées associent de façon diverse inhibiteurs du protéasome, médicaments immunomodulateurs, agents alkylants et corticoïdes.

Myélome indolent [135]

Près de 15 % des malades ont une forme asymptomatique, indolente, (smoldering myeloma pour les Anglo-Saxons), découverte de façon fortuite. Le diagnostic de myélome n’est pas équivoque (plus de 10 % de plasmocytes au myélogramme ou plasmocytes dystrophiques) sans symptôme, ni clinique, ni biologique (en dehors de l’immunoglobuline monoclonale), ni radiologique (pas de lésion suspecte sur les radiographies du squelette axial). Le risque global, statistique, d’évolution vers un myélome symptomatique est relativement faible, de l’ordre de 2 % par an, et seul le tiers de ces cas requiert un traitement dans les 15 années suivant le diagnostic.

Une IRM vertébrale (éventuellement du bassin, voire corps entier) est justifiée lors de la découverte de tout myélome indolent. La présence d’anomalies de signal indiscutables (en pratique, au moins trois lésions nodulaires typiques, d’au moins 1 cm de diamètre) est actuellement considérée comme un critère justifiant le début d’un traitement.

En dehors de cette situation, la mise en place d’un traitement précoce, avec l’espoir de retarder l’évolution, voire de guérir certains malades, a été proposée. Elle expose aux risques de toxicité et d’induction de résistance, qui imposent de réserver cette attitude aux malades à haute probabilité d’évolution rapide vers un myélome multiple avéré. Pour cela, des classifications ont été proposées, utilisant le taux de l’immunoglobuline monoclonale et des immunoglobulines polyclonales normales, l’étude quantitative et qualitative des plasmocytes médullaires et le taux des chaînes légères libres sériques. Aucune n’est suffisamment discriminative pour se substituer au critère traditionnel d’instauration d’une chimiothérapie uniquement devant l’évidence d’une progression de la maladie.

Myélome symptomatique du sujet âgé (plus de 65 ans)

En France, le traitement de référence des myélomes multiples du sujet âgé est fondé sur l’association melphalan-prednisone (MP) renforcée par la prise quotidienne de doses modérées ( 200 mg/j) de thalidomide. Toutes les études ayant comparé cette association « MP + thalidomide » (MP-T) au melphalan-prednisone seul ont montré un avantage du bras MP-T en termes de survenue plus tardive des rechutes et pour certaines, une amélioration de la survie. Le bénéfice de l’ajout de la thalidomide a été constaté y compris chez des malades très âgés. Il a été confirmé par une méta-analyse ayant regroupé les données issues de plus de 1 600 cas, la médiane de survie après MP-T étant de 39,3 mois (35,6-44,6) contre 32,7 mois (30,5-36,6) après MP (p = 0,005) [138].

Le thalidomide, médicament peu ou pas cytopéniant, n’accroît pas la toxicité hématologique de MP. Ce n’est pas le cas de ses analogues comme le lénalidomide (Revlimid®) dont l’utilisation, particulièrement en association au MP (schéma MP-R), induit fréquemment une neutropénie. Le lénalidomide, associé à la dexaméthasone à dose « allégée » (40 mg per os une fois par semaine) est le traitement le plus utilisé aux États-Unis (schéma Rev-Dex) [133], [160]. Comme le thalidomide, il implique un risque de thrombose veineuse qui justifie une prophylaxie (acide acétylsalicylique, ou héparine de bas poids moléculaire dans les situations à risque, et le recours à l’examen Doppler au moindre doute [157]. En revanche, il n’a pas la toxicité neurologique périphérique, progressive, temps- et dose-dépendante, de son analogue. En Europe, en dehors du schéma MP-T, l’association du MP à un inhibiteur du protéasome, le bortézomib (Velcade®) (schéma MP-V) est très utilisée. Comparée à l’association MP dans une large étude prospective, elle procure un avantage, y compris en survie [152]. Les effets secondaires du bortézomib sont hématologiques (thrombopénie) et neurologiques (neuropathie périphérique), de façon moins constante mais plus aiguë que le thalidomide [162]. L’utilisation d’une administration sous-cutanée hebdomadaire réduit le risque de neurotoxicité et les contraintes du traitement. N’étant pas éliminé par le rein, le bortézomib est aujourd’hui considéré comme le médicament de référence du myélome avec insuffisance rénale, en association à la dexaméthasone et, éventuellement, au cyclophosphamide.

L’introduction de ces nouveaux médicaments a transformé le traitement des sujets âgés pour lesquels l’association melphalan-prednisone ne doit plus être utilisée seule en première ligne, en dehors du cas particulier de malades très fragiles. Le choix entre MP-T et MP-V est guidé par le risque de thrombose, des considérations pratiques, dont l’éloignement de l’hôpital, et des habitudes de chacun. La décision pourrait prochainement évoluer avec la possibilité d’utiliser le lénalidomide en traitement de première ligne. En effet, les résultats préliminaires d’une importante étude prospective internationale, l’étude FIRST (plus de 1 600 malades inclus), ayant comparé MP-T et Rev-Dex, montrent une survenue plus tardive des rechutes chez les malades ayant reçu le lénalidomide. Ce bénéfice se traduit par une amélioration de la survie notamment lorsque l’association Rev-Dex est maintenue jusqu’à la rechute. Cette étude montre en outre que, chez des patients âgés, un traitement d’entretien de la réponse initiale peut être utile. En retardant la rechute, il diffère le moment d’une chimiothérapie de seconde ligne, souvent difficile à mettre en place, toxique et d’efficacité limitée. La situation est différente chez les malades plus jeunes pour lesquels le rapport bénéfice/risque des traitements d’entretien reste très incertain (voir plus loin).

Myélome symptomatique du sujet de moins de 65 ans

L’obtention d’un taux de réponse très élevé, certaines réponses étant apparemment complètes après injection unique d’une forte dose de melphalan a montré l’existence d’un effet-dose de ce médicament pour le traitement du myélome [151]. Afin de réduire la durée, les risques et la mortalité de l’aplasie entraînée par ce traitement, les fortes doses de melphalan ont été associées à des greffes autologues de cellules souches hématopoïétiques [128], [139]. Cette modalité thérapeutique a grandement modifié le pronostic du myélome chez les patients aptes à la supporter. Bien que l’utilisation de cellules provenant d’un donneur histocompatible ait théoriquement l’avantage de pouvoir entraîner un effet du greffon contre le myélome, les indications de l’allogreffe restent limitées en raison des complications sévères et de mortalité (de l’ordre de 30 %) inhérentes à ce type de greffe dans les tranches d’âges des patients éligibles (voir chapitre S04-P05-C02). La technique de greffe non myélo-ablative réduit partiellement ces risques mais probablement au prix d’une diminution de l’effet « greffon contre maladie » [150].

Les traitements intensifs suivis d’autogreffe, qui utilisent maintenant comme greffon des cellules souches prélevées dans le sang après mobilisation, génèrent peu de complications et leur mortalité est inférieure à 2 %. Les études randomisées, toutes effectuées avant l’ère des nouveaux médicaments, comparant une séquence avec autogreffe à une chimiothérapie « classique » montrent que le traitement intensif retarde la rechute. Certaines [125], mais pas toutes, montrent également un bénéfice en termes de survie. L’âge des malades inclus explique, en partie, les différences de résultats et la stratégie intensive n’a un rapport bénéfice/risque vraiment établi qu’avant 65 ans [140].

L’effet favorable sur la durée de la rémission procure une période sans traitement plus longue et donc, a priori, une meilleure qualité de vie [141]. Aussi le traitement intensif avec autogreffe est-il proposé à la grande majorité des malades de moins de 65 ans ayant un myélome récemment découvert. Le conditionnement de référence (chimiothérapie myélo-ablative précédant la réinjection du greffon autologue) utilise le melphalan seul, à la dose de 200 mg/m2. La répétition de séquences de melphalan forte dose « en tandem », proposée par certains [129], est aujourd’hui très discutée au profit de l’utilisation de séquences de traitements intensifs de nouvelle génération, intégrant immunomodulateurs et inhibiteurs du protéasome.

Ainsi, le traitement actuel du myélome symptomatique du sujet jeune comporte :

– trois à quatre cures d’une chimiothérapie d’induction. La chimiothérapie classique VAD (vincristine-adriamycine-dexaméthasone) est aujourd’hui abandonnée au profit d’une association de bortézomib, de dexaméthasone et d’un immunomodulateur, en principe le thalidomide (schéma VTD) [164] ;

– une étape de mobilisation sanguine (le plus souvent par G-CSF pour granulocyte-colony stimulating factor) des cellules souches hématopoïétiques, qui sont conservées par congélation ;

– le traitement intensif par de fortes doses de melphalan, suivi de la réinjection des cellules souches autologues ;

– une étape de consolidation, de plus en plus souvent proposée, habituellement par deux à trois cures d’une association de type VTD.

Le concept de consolidation repose sur la démonstration, par des techniques moléculaires sensibles, de la réduction supplémentaire de la -maladie résiduelle post-traitement intensif qu’apportent les polychimiothérapies de nouvelle génération. La durée optimale de la phase de consolidation reste à préciser et il est possible que le maintien d’une consolidation pendant quelques mois, par exemple en utilisant un médicament oral bien toléré comme le lénalidomide, amplifie encore la réduction tumorale. En revanche, la poursuite, après la consolidation, d’un traitement d’entretien « vrai », maintenu jusqu’à la rechute, n’est pas justifiée chez les patients jeunes, à la différence des plus âgés (voir plus haut). En effet, quel que soit le médicament utilisé, le bénéfice lié à la prolongation de la durée de réponse est contrebalancé par le risque de sélection de clones agressifs à l’origine de rechutes résistantes difficilement rattrapables d’où, au total, une absence d’amélioration de l’espérance de vie. L’impact du traitement sur la qualité de vie et le risque d’éventuels effets indésirables doivent également être pris en compte. Ainsi des données récentes concernant le lénalidomide en monothérapie d’entretien (ou de consolidation longue), stratégie actuellement la plus étudiée, suggèrent-elles que ce traitement pourrait favoriser l’émergence d’une seconde maladie maligne [126]. Les polychimiothérapies de nouvelle génération, type bortézomib, dexaméthasone et un immunomodulateur, induisent des réponses chez la quasi-totalité des malades : excellentes presque trois fois sur quatre et apparemment complètes pas loin d’une fois sur deux [163]. Cette remarquable efficacité remet en question l’intérêt d’un traitement intensif systématique en première ligne. Les résultats à venir d’une étude prospective française, étudiant l’association bortézomib-lénalidomide-dexaméthasone suivie ou non par un traitement intensif, devrait contribuer à résoudre cette question.

Traitements symptomatiques

Ces traitements ont une place importante, non seulement pour leur effet symptomatique, mais aussi par leur effet préventif de certaines complications.

Traitement de la maladie osseuse

Les bisphosphonates sont de puissants inhibiteurs des ostéoclastes et donc de la résorption osseuse. Leur absorption digestive est médiocre, devant faire préférer la voie intraveineuse. Ils constituent, parallèlement à la réhydratation, le traitement de référence des hypercalcémies du myélome. Leur capacité à réduire le risque d’un événement osseux avec les bisphosphonates de première génération (pamidronate) comme avec les suivantes (zolédronate) est bien démontrée [165]. Au rythme d’une perfusion mensuelle (puis, éventuellement, plus espacée, pour tenir compte de leur persistance dans l’os), ils doivent être associés à la chimiothérapie d’induction chez tout malade ayant une maladie osseuse avérée ou menaçante. La rémission, lorsqu’elle est obtenue, s’accompagne d’une augmentation franche de la densité osseuse qui fait interrompre leur administration. Ils sont réintroduits lors des rechutes, d’autant plus qu’un bénéfice en survie a été montré dans cette situation. Les bisphosphonates peuvent être proposés dans le cas des myélomes indolents, éventuellement après confirmation d’une franche ostéoporose par une étude de densité osseuse par absorptiométrie. La tolérance des bisphosphonates est habituellement très bonne. Leur principal effet indésirable est une ostéonécrose de la mâchoire, dont la survenue est largement favorisée par des soins dentaires « agressifs » (avulsion et implants essentiellement), qui ne doivent donc être envisagés qu’à distance du traitement [144].

Les autres approches thérapeutiques de la maladie osseuse, notamment l’utilisation des inhibiteurs du système RANK-ligand de RANK, comme le dénosumab, ne semblent pas apporter un rapport bénéfice/risque supérieur.

Certaines complications osseuses de la maladie, notamment les fractures des os longs ou vertébrales, et les événements hyperalgiques peuvent bénéficier d’une irradiation voire une cimentoplastie ou une kyphoplastie, très rarement une fixation chirurgicale. L’irradiation locorégionale est le traitement de choix des plasmocytomes solitaires. Les localisations épidurales doivent également être traitées par une radiothérapie associée à de fortes doses de corticoïdes. Un geste chirurgical, en pratique une laminectomie décompressive, s’impose en cas de signes neurologiques compressifs lésionnels et surtout sous-lésionnels.

Autres traitements de support

Une anémie symptomatique liée à la maladie est une indication à mettre en place une chimiothérapie. En attendant l’efficacité de celle-ci, l’anémie peut justifier l’injection régulière d’une érythropoïétine recombinante. En situation d’insuffisance rénale aiguë, le recours aux mesures symptomatiques et à l’association bortézomib-dexaméthasone s’impose (voir plus haut). L’intérêt d’y associer des échanges plasmatiques est discuté. Pour les malades en insuffisance rénale terminale, l’utilisation de membranes de dialyse de haute perméabilité aux protéines est en cours d’évaluation. Devant une suspicion d’hyperviscosité, l’indication d’échanges plasmatiques dépend avant tout de données cliniques (examen du fond d’œil surtout), la viscosité sérique mesurée ne reflétant que très imparfaitement la viscosité sanguine effective.

Les mesures prophylactiques destinées à réduire le risque infectieux sont mal codifiées. Certains prônent une antibiothérapie systématique à orientation antipneumocoque, utilisant soit une pénicilline (amoxicilline) soit le cotrimoxazole. Ce dernier a l’avantage de couvrir en même temps le risque de pneumocystose, utile chez les malades recevant de très fortes doses de corticoïdes. Une chimiothérapie incluant le bortézomib doit être associée à une prévention des infections herpétiques par valaciclovir. Les vaccins vivants sont contre-indiqués. Les vaccins tués peuvent être administrés mais leur capacité à induire une réponse protectrice est très incertaine. Dans ces conditions, la vaccination antigrippale est plutôt proposée à l’entourage. Le vaccin antipneumococcique conjugué (Prévenar 13®), administré en dehors de toute chimiothérapie, à un stade précoce (myélomes multiples indolents) ou en situation de rémission pourrait être intéressant. Un traitement substitutif par immunoglobulines polyvalentes intraveineuses ou sous-cutanées n’est indiqué qu’en cas d’infections récidivantes malgré une antibioprophylaxie prolongée.

Pronostic

Avec l’introduction des nouveaux médicaments, l’espérance de vie des malades ayant un myélome symptomatique s’est beaucoup améliorée, avec une médiane de survie maintenant de l’ordre de 5 à 6 ans [147]. Il reste cependant très difficile de parler de guérison et l’évolution est toujours marquée par de grandes disparités.

En dehors de l’âge et des co-morbidités, les principaux facteurs pronostiques identifiés dépendent de la masse tumorale, de la malignité intrinsèque des cellules anormales et de leur réponse aux traitements. Le taux de β2-microglobuline sérique est le marqueur le plus représentatif de la masse tumorale. L’index pronostique international [143], associant β2-microglobuline et albuminémie, combine masse tumorale et facteurs liés à l’hôte, et tend à remplacer la classification historique de Durie et Salmon [137]. Certaines anomalies chromosomiques indiquent une malignité tumorale importante, principalement une translocation t(4;14) et/ou une délétion 17p (voir plus haut) [127].

Dans la majorité des cas, le suivi du taux de l’immunoglobuline monoclonale sur un simple tracé électrophorétique permet d’évaluer avec une précision suffisante la réponse au traitement et l’évolution de la maladie. Il permet de caractériser la qualité des réponses, qualifiées de complètes lorsqu’elles sont marquées par la disparition de l’immunoglobuline monoclonale recherchée par immunofixation dans le sérum et les urines. L’appréciation du niveau de réponse peut être encore affinée par des recherches de maladie résiduelle au niveau médullaire, par des techniques d’immunomarquage ou PCR. L’obtention d’une rémission apparemment complète, immunochimique et, plus encore, fluo-cytométrique ou moléculaire, est globalement un indicateur de bon pronostic [136]. Les marqueurs reconnus, biologiques, moléculaires et même évolutifs, sont pertinents pour comparer des séries de malades, mais leur intérêt à l’échelon individuel reste limité.

Perspectives

De nouveaux traitements sont en cours d’évaluation, certains cherchant à améliorer les classes médicamenteuses déjà disponibles, d’autres explorant d’autres voies thérapeutiques [155]. Deux nouveaux inhibiteurs du protéasome, le carfilzomib, moins neurotoxique que le bortézomib, et le MLN9708, utilisable par voie orale, devraient être disponibles prochainement. Le pomalidomide est un immunomodulateur de troisième génération déjà disponible en situation de rechute. Parmi les traitements originaux, des stratégies à visée épigénétique, utilisant en particulier des inhibiteurs d’histones déacétylases, ont été explorées. Surtout, l’utilisation d’anticorps monoclonaux, en particulier reconnaissant l’antigène CD38 fortement exprimé par les plasmocytes, paraît une voie d’avenir très prometteur [166].

Même si le myélome reste une maladie incurable, une nette amélioration de l’espérance et de la qualité de vie des malades a pu être obtenue au cours des dernières décennies. Elle a été rendue possible par l’association de démarches clinicobiologiques, pharmacologiques et fondamentales qui, cependant, n’ont pas encore permis de prendre en compte l’hétérogénéité de la maladie par des stratégies adaptées à ses différentes formes et à leur évolution prévisible. Cet objectif représente un enjeu essentiel pour espérer, dans l’avenir, encore améliorer le pronostic et ouvrir des perspectives de guérison.

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Toute référence à cet article doit porter la mention : Fermand JP, Myélome. Syndromes lymphoprolifératifs. In : L Guillevin, L Mouthon, H Lévesque. Traité de médecine, Éd. 2021 Paris, TdM Éditions, 2021- S04-P03-C08.