S15 Pathologie musculaire

S15 Pathologie musculaire

S15

Pathologie musculaire

 

Olivier Benveniste

Les myopathies inflammatoires idiopathiques sont des maladies musculaires auto-immunes hétérogènes. Définir des groupes homogènes de patients est fondamental au vu des enjeux pronostiques et thérapeutiques, en particulier pour la constitution d’essais cliniques. À ce jour, il n’existe pas de classification permettant de répondre pleinement à cet objectif. En particulier, les approches reposant sur l’analyse histopathologique restent insuffisantes dans l’état. L’utilisation des auto-anticorps (Ac) pour classer les patients dans des groupes homogènes est certainement pertinente et guidera les prochaines classifications.

Dans les années 1970, Peter et Bohan ont classé les myosites en deux catégories : les dermatomyosites et les polymyosites [2]. Il existe néanmoins de très importantes hétérogénéités au sein de ces groupes. Dans chacun d’eux, on observe à la fois d’importantes variations dans le phénotype musculaire (sévérité du déficit, dysphagie, taux d’enzymes musculaires, caractéristiques histologiques), mais aussi dans les manifestations extramusculaires (parfois absentes, atteinte respiratoire, cancer associé).

À ce jour, les classifications ont évolué, mais restent principalement fondées sur les données histologiques musculaires qui ne rendent pas encore compte de l’hétérogénéité des patients. La classification clinicohistologique des myopathies inflammatoires idiopathiques est donc insatisfaisante à l’heure actuelle. Les auto-anticorps observés au cours des myosites, qu’ils soient spécifiques (Ac spécifiques des myosites [ASM]) ou associés aux myosites (AAM) permettent souvent de définir des groupes plus homogènes de patients.

Ce chapitre illustre les limites des classifications clinicopathologiques actuelles et montre l’homogénéité phénotypique des patients selon le type d’Ac en présence afin de souligner l’intérêt d’une approche clinicosérologique pour classer les patients.

Les myopathies nécrosantes auto-immunes (MNAI) appartiennent au groupe des myopathies inflammatoires idiopathiques. Cette entité est récente puisqu’elle a été individualisée pour la première fois en 2003 [8]. Sa définition fait suite à une publication antérieure, montrant que les myopathies associées à l’anticorps (Ac) anti-signal recognition particle (SRP) présentaient des caractéristiques histologiques particulières avec une prédominance de fibres musculaires en voie de nécrose [12]. Les MNAI sont définies par :

– des signes cliniques et paracliniques de myopathie (déficit musculaire proximal, bilatéral et symétriques, élévation des enzymes musculaires, tracé myogène à l’électromyogramme ou hypersignaux musculaires sur les séquences T2 en IRM) ;

– des lésions histologiques où prédominent de nombreuses fibres musculaires nécrotiques alors que l’inflammation musculaire est faible ou absente [8].

La définition des MNAI repose donc sur des caractéristiques histologiques qui ont pu être identifiées grâce à l’analyse de groupes de patients présentant l’auto-anticorps spécifique des myosites anti-SRP.

En reprenant, une série de patients MNAI (définie selon des critères histologiques) A. Mammen et al. ont rapporté que l’Ac anti-SRP est effectivement identifié principalement au cours des MNAI [10]. De plus, ils ont montré que les Ac anti-synthétases peuvent être aussi observés au cours des MNAI et identifié enfin un nouvel auto-anticorps spécifique : l’anti-3-hydroxy-3-méthylglutaryl-coenzyme A réductase (HMGCR), présent dans 40 % des cas des MNAI. Cette équipe a trouvé qu’environ 15 % de myopathies acquises répondent à la définition de MNAI et que, parmi elles, plus de deux tiers ont des auto-anticorps spécifiques (anti-SRP, anti-HMGCR ou antisynthétases) [6].

Le syndrome des antisynthétases (SAS), décrit pour la première fois à la fin des années 1980, est une connectivite auto-immune qui a été caractérisée grâce à l’identification d’auto-anticorps spécifiques : les anticorps anti-aminoacyl-ARNt synthétases (Ac AS). Il s’agit d’un syndrome cliniquement hétérogène, affectant plus souvent les femmes (sex-ratio < 2,5), vers la cinquième décennie [6]. Bien qu’il n’y ait pas de critères internationaux de classification validés pour les SAS à ce jour, il est admis, depuis les descriptions initiales, qu’il associe principalement (dans plus de trois quarts des cas) une myopathie inflammatoire et une pneumopathie infiltrante diffuse (PID) [6]. Il représenterait près d’un tiers des myopathies inflammatoires, soit une prévalence estimée à 5/100 000.

D’autres symptômes sont rapportés au cours du SAS, en fréquence variable : fièvre, atteinte articulaire, phénomène de Raynaud, mains de mécanicien, péricardite ou encore atteinte œsophagienne [6]. Des signes cliniques empruntés à la sclérodermie systémique ou au syndrome de Gougerot-Sjögren ne sont pas rares et font de ce syndrome une connectivite de chevauchement.

La dermatomyosite (DM) est une myopathie inflammatoire rare, définie par une atteinte cutanée caractéristique, le plus souvent associée à un déficit musculaire proximal. Les myosites ont longtemps été subdivisées en polymyosites (PM), dermatomyosites (DM), myosites à inclusions, mais cette classification ne permettait pas de prendre en compte toutes les myopathies inflammatoires. Une nouvelle classification fondée sur les données cliniques, pathologiques et sérologiques (anticorps spécifiques des myosites) permet de distinguer quatre sous-groupes : dermatomyosite, myosite à inclusions, myopathie nécrosante auto-immune et syndrome des antisynthétases (Tableau S15-P01-C04-I) [9].

La première classification des myopathies inflammatoires en 1975 par Peter et Bohan [6] définissait la dermatomyosite (DM) et la polymyosite (PM), mais ne soupçonnait pas l’existence de la myosite à inclusions (MI), ni des myopathies nécrosantes auto-immunes (MNAI). C’est en 1995 qu’une première publication rapportant les résultats d’un groupe de travail définissait la MI sur des critères essentiellement pathologique [9] puis en 2004 un autre groupe de travail définissait les MNAI [10]. Ces critères diagnostiques remplacent maintenant ceux de Peter et Bohan. La classification de ces myopathies acquises se base donc sur la clinique et surtout l’histologie musculaire [9], [10]. L’avènement des auto-anticorps spécifiques des myosites depuis les années 1980, avec l’accélération depuis une dizaine d’année de la description de nouvelles entités phénotypiques et surtout la mise à disposition en routine de kits commerciaux de détection d’une quinzaine de ces anticorps fera que, très prochainement, ces classifications clinico-histologiques seront également obsolètes, ces anticorps seront classants, de la même manière de ce qui s’est passé pour les vascularite et les anticorps anticytoplasme de polynucléaires neutrophiles (ANCA) (voir Chapitre S15-P01-C01).

Il existe différents syndromes myasthéniques, correspondant pour chacun d’entre eux à une anomalie d’une molécule de la synapse neuromusculaire dont la conséquence est toujours identique : réduction de la marge de sécurité de la transmission neuromusculaire qui altère les capacités motrices du muscle strié et conduit à une faiblesse musculaire favorisée par l’effort. Leur classification est fondée sur leur physiopathologie qui dépend du siège du dysfonctionnement (synaptique, pré- ou post-synaptique) et de son mécanisme (agression par des auto-anticorps, toxicité médicamenteuse ou d’autre nature, origine génétique) (Figure S15-P1-C6-1). Dans ce chapitre nous décrirons successivement la myasthénie auto-immune ou « myasthenia gravis », puis le syndrome de Lambert-Eaton, ces deux affections étant d’origine auto-immune, enfin les syndromes myasthéniques toxiques, iatrogènes et génétiques.

Les myopathies métaboliques forment un groupe de maladies en rapport avec une anomalie génétique du métabolisme musculaire, dont le dépistage est très important en raison du nombre croissant d’approches thérapeutiques. Dans ce chapitre seront abordées les affections musculaires métaboliques en rapport avec des anomalies du métabolisme glucidique (glycogénoses musculaires) ou du métabolisme des graisses (lipidoses musculaires). Les myopathies mitochondriales sont traitées chapitre S15-P01-C08.

La principale source d’énergie servant au fonctionnement musculaire provient de l’alimentation, et doit être transformée en adénosine triphosphate (ATP) à travers le métabolisme énergétique afin de permettre la contraction musculaire. Au cours de l’exercice, les réserves d’ATP sont utilisées dans les 30 premières secondes, puis les hydrates de carbone et les graisses deviennent rapidement les sources essentielles de carburant ; les modalités d’utilisation de ces sources d’énergie dépendent de l’intensité et de la durée de l’exercice, de la condition physique, et du statut nutritionnel de l’individu. Schématiquement, le muscle au repos utilise essentiellement les acides gras, puis, durant la première phase de l’exercice, l’énergie provient des réserves de glycogène et du glucose sanguin. Lorsque l’intensité et la durée de l’exercice augmentent, survient une augmentation de l’entrée de glucose dans la cellule musculaire, avec mise en jeu de la glycolyse anaérobie lors des exercices intenses. En revanche, lors des exercices à faible intensité, il existe une augmentation progressive de l’utilisation des acides gras par rapport à celle du glucose sanguin, et l’oxydation des lipides devient la principale source d’énergie lors des exercices prolongés.

L’émergence du concept de myopathie mitochondriale remonte pour l’essentiel aux années 1970, avec le développement de colorations histologiques permettant de reconnaître des lésions témoignant de la souffrance de cette organelle. Les pathologies mitochondriales d’expression musculaire représentent un groupe d’affections rares très hétérogène, tant sur le plan de la présentation clinique que sur celui de leur origine moléculaire ; elles constituent de fait un monde en soi au sein de la pathologie neuromusculaire [2]. De fait, elles peuvent toucher des sujets de tous âges, du nouveau-né à l’adulte âgé, et leur expression est extrêmement riche et polymorphe. La complexité du diagnostic s’est considérablement accrue au cours des 30 dernières années avec la mise en évidence d’anomalies causales dans nombreux cas restés jusque-là sans explication moléculaire. Comme on le verra, le diagnostic de mitochondriopathie est aujourd’hui évoqué devant des tableaux cliniques variés, dont certains sont connus de longue date ; il est le plus souvent conforté par la réalisation d’une biopsie musculaire et affirmé formellement par une analyse génétique. Nombre de cas restent toutefois de diagnostic incertain, notamment dans les situations où la porte d’entrée est une intolérance à l’effort « nue » et dans les formes du sujet âgé, chez qui les anomalies mitochondriales peuvent être liées au vieillissement et n’autorisent pas de conclusion simple en l’absence d’anomalie moléculaire avérée.