S16 Psychiatrie

S16 Psychiatrie

S16

Psychiatrie

 

Michel Lejoyeux

Les troubles de l’humeur sont classés en troubles dépressifs récurrents (répétition d’épisodes dépressifs caractérisés) et troubles bipolaires de l’humeur (alternance d’épisodes dépressifs majeurs, et d’épisodes d’excitation pathologique). Ce sont des pathologies fréquentes, touchant des sujets jeunes, avec une forte propension à la rechute qui impacte précocement le développement académique, social et affectif des sujets. Les troubles de l’humeur représentent la première cause en termes de coût et la troisième en termes de prévalence au sein des maladies du cerveau. Le diagnostic des troubles dépressifs récurrents pose relativement peu de problème et la prise en charge est bien codifiée. En revanche, les troubles bipolaires de l’humeur constituent une famille hétérogène de troubles cycliques de l’humeur, qui ont plusieurs caractéristiques cardinales. Du fait de la non-spécificité des premiers épisodes, ces pathologies souffrent d’un retard diagnostique important (8 à 10 ans) et de retard de prise en charge qui aggrave encore le pronostic. Enfin, ce sont des pathologies hautement comorbides (50 % de comorbidités addictives, 60 % de comorbidités anxieuses, diabète, surpoids et syndrome métabolique) et parmi les plus suicidogènes. Pour toutes ces raisons, ils forment la sixième cause de handicap, toutes pathologies confondues.

Le terme « schizophrénie » est employé dans le langage courant dans divers acceptions trompeuses :

– appliqué à des situations de la vie quotidienne, il fait souvent référence à la notion floue de « dédoublement de la personnalité » ;

– utilisé pour décrire des troubles psychiatriques, il correspondrait à une maladie grave, fréquemment associée à l’idée de dangerosité.

Le caractère polysémique de ce mot rend souvent confuse la représentation de cette maladie psychiatrique qui est parmi les plus invalidantes et qu’il convient de définir.

Ce terme a été forgé par le psychiatrie E. Bleuler [6] et utilisé pour la première fois en 1908 lors qu’il présenta son traité intitulé : Dementia Praecox oder die Gruppe der Schizophrenien (« La démence précoce ou le groupe des schizophrénies »). Bleuler approuvait la plupart des observations cliniques de Kraepelin qui avait proposé dès 1896, la notion de dementia praecox (« démence précoce ») et donc d’évolution forcément déficitaire du trouble. Toutefois, il considérait que cette maladie avait une base neurologique et que sa compréhension passait par la prise en compte des phénomènes psychiques inconscients. Le mot schizophrénie du grec schizen (fendre) et phren (âme, esprit) soulignait, pour lui, une caractéristique fondamentale de ce trouble : la scission (Spaltung) du fonctionnement psychique. Pour cet auteur, la notion de « groupe des schizophrénies », soulignait également l’hétérogénéité de troubles, pouvant avoir une présentation clinique proche.

Les troubles anxieux sont les pathologies psychiatriques les plus répandues, et tout médecin peut les rencontrer dans sa pratique quotidienne, dans des contextes cliniques très variés : telle malade ne pouvant passer une IRM à cause d’une claustrophobie insurmontable, tel autre ayant développé une cirrhose hépatique liée à un alcoolisme secondaire à une phobie sociale non diagnostiquée, ou encore tel patient souffrant d’attaques de panique qui multiplie les demandes d’examens cardiologiques tous normaux. Environ 10 à 15 % de la population générale souffre ou a souffert dans sa vie d’une pathologie anxieuse caractérisée. Ces pathologies apparaissent le plus souvent tôt dans la vie, dans l’enfance, l’adolescence ou avant 30 ans, et peuvent perdurer sur des années, voire des décennies. Leur sévérité est variable selon les cas, avec des formes relativement légères ne perturbant que très peu le fonctionnement des sujets ; d’autres peuvent être fortement invalidantes, limitant par exemple les déplacements, les contacts sociaux ou certaines capacités professionnelles.

Hystérie de conversion

Dans le DSM-IV, le trouble de conversion appartient à la catégorie très hétérogène des troubles somatoformes. Il se manifeste par un ou plusieurs symptômes ou déficits touchant la motricité volontaire ou les fonctions sensitives ou sensorielles qui ne peuvent s’expliquer par une affection médicale générale ou les effets d’une substance. Ces symptômes ou déficits ne sont pas produits intentionnellement ou feints (ce qui les distingue des troubles factices ou de la simulation), entraînent une souffrance ou une altération du fonctionnement social significative et ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental (y compris le trouble de somatisation) [3]. Pour porter le diagnostic, il est essentiel que les symptômes soient inexpliqués médicalement. Ce critère a été sujet à controverse. Il expose en effet au risque de recevoir un tel diagnostic quand la médecine n’est pas suffisamment avancée ou quand des connaissances font défaut à un médecin ou encore si des conflits d’intérêts empêchent que certaines pathologies soient officiellement reconnues. De plus, d’après le DSM-IV, le diagnostic implique que des facteurs psychologiques soient associés au symptôme ou au déficit (leur survenue ou leur aggravation devant être précédée par des conflits ou d’autres facteurs de stress). Ce critère a été également controversé, à la fois parce qu’il rompt avec le caractère athéorique des critères des DSM, et parce qu’il introduit un élément subjectif d’appréciation, source d’erreurs de diagnostic. Le DSM-5 propose une nouvelle définition pour se distancer de l’ancienne conception psychanalytique sous-jacente. Il remplace la catégorie des « troubles somatoformes » par la catégorie des « troubles avec symptômes somatiques ». Pour cette nouvelle catégorie, qui inclut le trouble douloureux et la somatisation, le DSM-5 abandonne deux critères au centre des définitions antérieures, mais impossibles à prouver en pratique : l’association à un facteur psychologique jugé causal, et l’absence de toute exagération ou simulation consciente. Il retire également le critère selon lequel les symptômes doivent être médicalement inexpliqués et met l’accent sur un nouveau critère : l’impact de ces symptômes sur les pensées, les sentiments et les actions de la personne. Les symptômes peuvent ou pas être associés à une autre condition médicale, mais doivent, pour rencontrer les critères diagnostiques, être accompagnés par des pensées, sentiments et comportements excessifs [6].

La médecine se trouve souvent confrontée à la question de la relation entre le psychisme et le somatique. Sur un plan clinique, de nombreux troubles mentaux s’expriment par des symptômes physiques et psychiques tandis que les approches étiopathogéniques s’appuient sur des explications ayant recours à des modèles intégrant des facteurs organiques et psychologiques. La nosographie psychiatrique actuelle a donc individualisé sous l’appellation « troubles somatoformes » (« trouble de symptôme somatique et troubles connexes » dans le DSM-5) un ensemble de pathologies caractérisées par la présence de préoccupations et/ou manifestations somatiques sans substrat organique : la somatisation, l’hypocondrie, le trouble de conversion, le trouble factice ou pathomimie et le syndrome de fatigue chronique. Leur prise en charge repose sur une approche pluridisciplinaire s’appuyant sur la collaboration entre médecins somaticiens et psychiatres.

La personnalité peut être définie comme l’organisation fonctionnelle qui intègre les composantes psychiques et somatiques d’un sujet en interaction avec son environnement, et qui lui confère son unicité, sa singularité et sa permanence. Elle est aujourd’hui considérée comme le fruit d’une interaction permanente entre deux composantes souvent difficiles à distinguer :

– une composante génétiquement et biologiquement déterminée : le « tempérament » ;

– une composante développementale, issue des interactions entre le tempérament et les expériences psycho-environnementale du sujet : le « caractère ».

Les premières études de la personnalité s’inscrivent dans une double tradition : celle de la médecine hippocratique et de sa description des tempéraments, d’une part, et celle de la philosophie morale et de son analyse des caractères (Théophraste), d’autre part. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que va se développer l’approche psychologique de la personnalité. Dans la même période va émerger le concept de « folie morale » ou moral insanity (J.C. Prichard, 1837), qui fait entrer certains types de personnalité dans le champ pathologique et médical.

Aujourd’hui, la notion de personnalité intéresse tout médecin dans son exercice clinique : la personnalité est l’un des facteurs déterminants de la relation médecin-malade et de l’alliance thérapeutique ; elle peut représenter un facteur de risque pour le développement de troubles mentaux, mais aussi de pathologies somatiques ; elle peut, enfin, s’exprimer sur un mode pathologique et nécessiter de ce fait des thérapeutiques adaptées.

Troubles psychiatriques secondaires à une pathologie somatique [9]

Toutes les pathologies chroniques, surtout lorsqu’elles ont un retentissement sur le pronostic vital, fonctionnel ou esthétique, sont susceptibles de se compliquer d’un trouble psychiatrique, essentiellement d’un épisode dépressif majeur. Certaines associations plus fréquentes que d’autres sont tout de même à préciser.

Cardiologie

Infarctus du myocarde [3]

De nombreuses études ont montré qu’il existait une corrélation entre la dépression et l’infarctus du myocarde. Ainsi estime-t-on, d’une part, à 20 % la prévalence d’épisodes dépressifs majeurs (EDM) en post-infarctus du myocarde et, d’autre part, que lorsqu’il survient après un infarctus du myocarde, un EDM multiplierait la mortalité par un facteur de 1,5 à 2.

Plus généralement, la dépression tend à augmenter le risque cardiovasculaire, par le biais de mécanismes biologiques (augmentation du rythme cardiaque, de la pression artérielle, des marqueurs d’inflammation et de l’agrégation plaquettaire, etc.) et par son impact sur le mode de vie (tabagisme, absence d’activité physique, difficulté à suivre un régime, stress social, etc.).

La Haute Autorité de santé a proposé en 2010 une définition du trouble de comportement alimentaire (TCA) faisant de celui-ci « un trouble du comportement visant à contrôler son poids et altérant de façon significative la santé physique comme l’adaptation psychosociale, sans être secondaire à une affection médicale ou à un autre trouble psychiatrique » [1]. Différents facteurs expliqueraient l’apparition de ces troubles pouvant engager le pronostic vital dans ses formes les plus sévères. Une prise en charge pluridisciplinaire associant les traitements somatiques, nutritionnels et psychologiques est maintenant reconnue par les spécialistes.

Définition et classification

Anorexie

L’anorexie mentale est définie, selon le DSM-IV, par le refus de maintenir le poids corporel au niveau ou au-dessus d’un poids minimum normal pour l’âge et pour la taille, la peur intense de prendre du poids ou des formes alors que le poids est inférieur à la normale, une altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, une influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi ou un déni de la gravité de la maigreur actuelle. Chez les femmes post-pubères, l’aménorrhée (absence d’au moins trois cycles menstruels consécutifs) complète le diagnostic [2].

La grossesse et le post-partum sont marqués par de profonds changements physiques, hormonaux et psychosociaux. Il convient de différencier les modifications physiologiques émotionnelles des véritables symptômes révélateurs d’une pathologie psychiatrique.

Les pathologies mentales spécifiques de la périnatalité s’associent à une plus grande morbi-mortalité maternelle et néonatale. En outre certaines pathologies organiques peuvent être confondues avec ces troubles psychiatriques et en retarder le diagnostic.

Trois situations sont actuellement distinguées : la grossesse chez une patiente aux antécédents psychiatriques avec ou sans traitement ; la survenue de troubles psychiatriques pendant la grossesse ; l’apparition de troubles psychiatriques en post-partum.

Après avoir rappelé la définition et la classification des troubles mentaux périnatals, nous décrirons dans un premier temps la grossesse chez une patiente suivie en psychiatrie. Puis nous développerons le diagnostic et la prise en charge de la dépression du post-partum et de la psychose puerpérale.

Face à l’augmentation de l’espérance de vie, nos systèmesde soins doivent s’adapter aux particularités et aux besoins depatients de plus en plus âgés. En 2017 en France métropolitaine,l’espérance de vie était estimée à 85,4 ans pour les femmes et 79,5 anspour les hommes, et la proportion de sujets âgés de plus de 75 anspourrait atteindre 12,3 % de la population en 2030 et 16,2 % en2060.

C’est dans ce contexte que la psychiatrie du sujet âgé se développeet s’affirme comme une véritable sur-spécialisation. L’offre desoins psychiatriques auprès des sujets âgés se décline à deux niveaux :auprès des patients dont les troubles psychiatriques ont débutéà l’âge adulte et dont l’évolution nécessite la poursuite des soinsà un âge avancé ; dans le cadre de l’évaluation et de la prise encharge thérapeutique de symptômes psychiatriques inauguraux, qu’ilsconstituent un trouble psychiatrique caractérisé d’expression tardiveou qu’ils s’inscrivent comme des manifestations comportementaleset/ou émotionnelles réactionnelles (à un changement de contextede vie, à l’émergence de troubles cognitifs ou de troubles organiques,etc.). Dans les deux cas, la prise en charge psychiatrique du sujetâgé doit tenir compte des pathologies somatiques associées, desaltérations cognitives liées à l’âge, des interactions médicamenteuseséventuelles et du contexte de vie du patient. La psychiatrie dusujet âgé repose ainsi sur une étroite collaboration entre psychiatres,gériatres, médecins généralistes, psychologues, neuropsychologueset intervenants sociaux.

Apparues au cours du XXe siècle, les thérapies cognitives et comportementales représentent aujourd’hui un courant fort des psychothérapies. Elles sont issues de la psychologie scientifique et suivent une démarche de résolution de problèmes. Comme la médecine, les thérapies cognitives et comportementales (TCC) se basent sur des faits observables. À partir d’une souffrance exprimée, d’un symptôme rapporté par le patient, le thérapeute va proposer une thérapie adaptée et standardisée. En effet, les thérapies cognitives et comportementales sont encadrées par des protocoles qui ont été testés et validés scientifiquement, elles peuvent donc être enseignées et reproduites. Il existe en France plusieurs programmes de formation aux TCC, dispensés dans des institutions publiques ou privées. Ces études se font en deux ou trois années, généralement après un cursus de psychologie ou de médecine.

La psychanalyse est arrivée avec le XXe siècle, une méthode thérapeutique créée par Sigmund Freud (1856-1939) qui prend ses racines dans la médecine. Cette méthode thérapeutique amène à la prise de conscience par le patient de son contenu psychique inconscient et refoulé.

Définie comme une méthode de traitement des névroses, une science des processus psychiques inconscients, une psychologie des profondeurs, elle est indiquée pour les adultes ainsi que pour les enfants. Les progrès théoriques et cliniques obtenus dès sa naissance lui ont permis d’étendre sa portée clinique jusqu’aux patients psychotiques et autistes, qui aujourd’hui bénéficient aussi fréquemment des traitements psychanalytiques.

Freud a rendu son œuvre claire et accessible à tous. Il a été très attentif à la transmission de son savoir avec l’éthique que cela implique. Son œuvre conjugue une longue expérience clinique à un grand effort de théorisation, ce qui en a fait une référence obligatoire pour tous les psychanalystes aussi bien que pour la plupart des écoles de psychothérapie qui sont apparues depuis.

La compréhension actuelle des troubles psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent s’appuie sur un modèle probabiliste de facteurs risques cumulés, séquentiels et interactifs (génétiques, biologiques, périnataux, environnementaux). L’influence de l’environnement, et en particulier de la maltraitance ou de la carence affective grave, du niveau socioéconomique, sur le développement de l’enfant et la survenue de psychopathologies est bien connue depuis les premières études épidémiologiques réalisées dans les années 1960. La compréhension des mécanismes sous-tendant ces associations constitue l’un des champs de la recherche pédopsychiatrique contemporaine. Nous savons par exemple que les expériences traumatiques précoces laissent des traces au niveau neuronal. Le modèle de l’épigenèse ouvre, en ce sens, une nouvelle voie passionnante de compréhension du développement humain, placée dans une interaction complexe entre facteurs exogènes et facteurs endogènes.

Nous tenterons de montrer de quelle manière la clinique et la recherche peuvent évoluer dans une dynamique de questionnement réciproque. Nous avons fait le choix de ne pas chercher l’exhaustivité, mais de nous appuyer sur les données de la littérature récente et des exemples précis et représentatifs de la spécificité du diagnostic et du traitement à l’adolescence. Nous montrerons, à travers la théorie de l’attachement, comment un changement de perspective peut permettre une compréhension renouvelée de la relation parent-enfant, des enjeux psychiques et de certains troubles à l’adolescence. Nous étudierons plus particulièrement la question de la désorganisation de l’attachement, une psychopathologie encore trop méconnue, aux implications développementales, cliniques et thérapeutiques majeures. Nous montrerons comment une approche dimensionnelle peut permettre de mieux comprendre l’effet des situations d’adversité dans l’enfance sur la survenue des troubles. Nous proposerons quelques outils d’application de la théorie de l’attachement directement utilisables en pratique clinique.