S24 Génétique et maladies métaboliques

S24 Génétique et maladies métaboliques

S24

Génétique et maladies métaboliques

 

Alain Verloes et Brigitte Chabrol

Partie 1 - Génétique

La génétique médicale est une spécialité transversale, clinique et biologique, qui s’intéresse aux affections en raison de leurs mécanismes étiopathogéniques, et non du système ou de l’organe impliqué. Elle a deux grands champs de compétences :

– le versant génétique des maladies héréditaires, un ensemble d’affections très diverses et souvent rares, dont la prise en charge clinique est habituellement assurée par d’autres spécialités médicales ;

– les anomalies du développement embryonnaire, englobant les malformations congénitales, la déficience intellectuelle et l’autisme, dont le déterminisme n’est pas toujours génétique.

Le domaine couvert par la génétique est vaste : plus de 8 000 maladies, plus de 5 500 syndromes malformatifs, un nombre infini de remaniements génomiques… La génétique est devenue une spécialité médicale au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. En France, cette spécialité clinicobiologique rattachée aux spécialités médicales de l’internat existe depuis 1996. Cantonnée initialement aux maladies mendéliennes et aux anomalies chromosomiques, elle s’est progressivement immiscée dans tous les domaines de la médecine, à mesure que les progrès scientifiques révélaient le rôle des facteurs génétiques dans les maladies communes, en particulier en cancérologie.

ADN

L’acide désoxyribonucléique (ADN) est formé d’une succession de nucléotides, des modules élémentaires constitués d’un sucre désoxyribose à cinq carbones (numérotés 1′ à 5′), d’un phosphate (lié au carbone 5′) et d’une base purique – adénine (A) ou guanine (G) – ou pyrimidique – thymine (T) ou cytosine (C) – liée au carbone 1′. Le phosphate d’un nucléotide peut se lier au carbone 3′ du nucléotide suivant pour former une molécule d’ADN monocaténaire (brin d’ADN), dont les extrémités 3′ et 5′ sont définies par le carbone du désoxyribose qui les termine. Deux ADN monocaténaires peuvent s’apparier et former une structure hélicoïdale dextrogyre, la « double hélice » ( Figure S24-P1-C2-1). L’ADN bicaténaire ressemble à une échelle dont les montants sont une succession de modules désoxyribose-phosphate et les barreaux un couple base purique-base pyrimidique. Les couples de bases sont appariés par des liaisons hydrogènes faibles : deux liaisons pour le couple AT, trois pour le couple GC. Du fait de ces règles d’appariement strictes, la séquence nucléotidique d’un brin d’ADN est le contretype de celle du brin opposé. Les deux brins d’ADN monocaténaire sont disposés de façon antiparallèle : l’extrémité 5′ d’un brin fait face à l’extrémité 3′ de l’autre chaîne. La dissociation (ou dénaturation) de la double hélice peut être induite par des modifications physicochimiques du milieu, ou par des enzymes spécifiques appelées hélicases. La renaturation (ou hybridation) spontanée de deux brins d’ADN n’est possible que s’il existe une parfaite complémentarité entre les bases puriques et pyrimidiques qui s’affrontent. Cette propriété est à la base du mécanisme semi-conservatif de réplication de l’ADN : avant une division cellulaire, après dissociation des deux brins, chaque ADN monocaténaire formant la molécule d’ADN mère sert de matrice pour l’assemblage d’un nouveau brin d’ADN complémentaire.

Ambiguïté des termes variant, polymorphisme et mutation

Les termes variant ou variation de séquence sont des descripteurs neutres qui désignent toute différence entre la séquence observée et la séquence de référence (sans égard aux conséquences phénotypiques ou fonctionnelles), alors que mutation est utilisé pour désigner l’événement moléculaire qui produit une variation. Dans le langage médical courant, le terme mutation reste toutefois utilisé pour désigner une variation susceptible d’engendrer un phénotype morbide (au moins à l’état homozygote).

Détection des variants de petite taille

Il n’entre pas dans les objectifs de ce chapitre de décrire en détail les techniques de laboratoire nécessaires à l’analyse de l’ADN à but diagnostique, mais seulement de passer en revue quelques données générales. D’un point de vue très pratique, rappelons ici que la culture de lymphocytes requiert du sang prélevé sur tube hépariné. Toutes les technologies basées sur l’étude de l’ADN (séquençage, analyse chromosomique sur puce ADN [ACPA]) se font à partir de sang prélevé sur tube anti coagulé à l’EDTA (éthylènediaminetétraacétique). La récolte de l’ARN requiert des tubes spécifiques (par exemple : tubes PAXgene® qui assurent sa stabilité).

Rappels sémantiques

Les maladies héréditaires ne sont pas forcément des maladies familiales, et les maladies familiales peuvent être liées à un facteur d’exposition exogène, sans contribution génétique. Le terme congénital indique simplement qu’une anomalie (génétique ou non) est présente à la naissance.

Équilibre de Hardy et Weinberg

Hardy et Weinberg ont formalisé l’équilibre entre les fréquences alléliques dans une population idéale de grand effectif (pour gommer l’effet des fluctuations stochastiques), où les unions se font au hasard par rapport au caractère génétique étudié, et sans pression évolutive (chaque individu a la même chance de pouvoir se reproduire). Soient 2 allèles A et b, de fréquence p et q. La somme p + q égale 1. Si p >> q, p ≈ 1. L’ensemble des génotypes possibles est égal à [AA] + [Ab] + [bb]. Dans ces conditions, la fréquence des homozygotes sains [AA] = p2 (≈ 1), celle des hétérozygotes [Ab] = 2pq ≈ 2q et celle des homozygotes mutés [bb] = q2. L’équation peut être généralisée à n allèles. Par exemple, avec 3 allèles A, a, et b de fréquences p, q et r, p + q + r = 1, et donc : [AA] = p2, [aa] = q2, [bb] = r2, [Aa] = 2pq, [Ab] = 2pr, [ab] = 2qr. La loi de Hardy-Weinberg s’applique également aux gènes portés par le chromosome X. Dans ce cas, les génotypes sont [AA], [Ab], [bb], [A] et [b]. La fréquence q est directement déduite de la fréquence des sujets masculins atteints. Dans les grandes populations humaines, la panmixie est approximativement respectée. Toutefois, plusieurs phénomènes sont susceptibles de fausser les prévisions de ce modèle.

Conseil génétique

Le conseil génétique est l’une des spécificités de la génétique clinique. Le terme est consacré mais mal choisi, car la consultation de conseil génétique n’est pas une activité paternaliste de conseil, au sens habituel des sciences sociales. Selon la société américaine de génétique, le conseil génétique est un processus de communication qui vise à aider les individus, les couples et les familles à comprendre et à s’adapter aux conséquences médicales, psychologiques et familiales et à l’impact sur leurs projets parentaux, des facteurs génétiques qui sont à l’origine (ou qui contribuent) à leurs problèmes de santé. Il n’est nullement question de réduire l’incidence des maladies génétiques par une démarche eugénique, mais bien d’aider les patients et leurs familles.

Maladies complexes

Les maladies multifactorielles (ou maladies complexes) sont définies par leur signe ou leur symptôme principal : hypertension, athéromatose, artériosclérose, maladies auto-immunes, malformations congénitales communes. Ces maladies montrent habituellement un certain degré d’agrégation familiale, sans toutefois présenter le pattern de récurrence classique des maladies mendéliennes. Au sein de cohortes de maladies complexes peuvent toutefois se dissimuler des formes mendéliennes rares mimant les formes polygéniques.

Même si le rôle des facteurs génétiques y est moins évident, les maladies complexes représentent le groupe le plus important des maladies ayant une origine génétique. Par définition, les maladies complexes sont des affections, souvent communes, liées des facteurs génétiques ou épigénétiques multiples (modèle de l’hérédité polygénique) dont l’expression peut par ailleurs être modulée par des facteurs d’environnement (modèle de l’hérédité multifactorielle). Génétique et environnement ne s’opposent pas : des facteurs d’environnement peuvent modifier l’expression de gènes par des mécanismes épigénétiques. On sait, par exemple, que l’environnement maternel et celui de la toute première enfance peuvent modifier de façon importante le risque d’apparition d’affections chroniques à l’âge adulte. Ainsi, les enfants de petits poids de naissance ont un risque accru de développer une obésité ou un diabète à l’adulte. Cette prédisposition transgénérationnelle passe par des changements épigénétiques bien démontrés chez l’animal. Ils pourraient même se transmettre sur plusieurs générations.

Définition médicale de l’intelligence

L’intelligence est un concept global qui implique la capacité de l’individu à agir de façon sensée, de penser rationnellement et de composer avec l’environnement. Pour l’American Association on Intellectual and Developmental Anomalies (AAIDD), l’intelligence est une capacité mentale générale, qui comprend le raisonnement, la planification, la résolution de problèmes, la pensée abstraite, la compréhension d’idées complexes, la facilité à apprendre, et les apprentissages à partir d’expériences. Dans les approches psychométriques, l’intelligence combine plusieurs aptitudes mentales primaires indépendantes : la fluence verbale, la compréhension verbale, les capacités spatiales, la vitesse de perception, l’aptitude numérique, le raisonnement inductif et la mémoire… Les théories cognitives de l’intelligence (développées par Robert Sternberg et Howard Gardner) considèrent l’existence de plusieurs modes d’intelligence qui mettraient en œuvre des circuits neuronaux distincts : linguistique, musicale, logique-mathématique, spatiale, corporelle-kinesthésique, intrapersonnelle, interpersonnelle…

Partie 2 - Maladies Métaboliques

Déficits du catabolisme

Les amino-acidopathies [1]sont des maladies héréditaires du métabolisme liées à un déficit enzymatique dans l’une des voies de transformation des acides aminés. La transmission génétique est majoritairement autosomique récessive, rarement liée à l’X (par exemple déficit en OTC). En effet, si les acides aminés ne sont pas utilisés par la synthèse protéique, ils sont transformés en d’autres composés. Chaque acide aminé a donc une ou plusieurs voies métaboliques de transformation/catabolisme conduisant à produire, selon l’acide aminé, du glucose, des substrats pour le cycle de Krebs ou le métabolisme énergétique (acétyl-CoA, succinyl-CoA, corps cétoniques, etc.), des hormones, des neurotransmetteurs, etc. Un déficit enzymatique sur l’une de ces voies de catabolisme conduit à l’accumulation anormale du substrat en amont du déficit enzymatique, et à une carence du substrat en aval.

La topologie des symptômes est extrêmement variée, dépendant à la fois de l’organe porteur du déficit (si l’expression du gène est tissu spécifique), mais également de la toxicité parfois organe spécifique du composé accumulé. Les symptômes peuvent ainsi être hépatiques (par exemple tyrosinémie type I dont l’enzyme est hépatique), neurologiques (par exemple phénylcétonurie alors que l’enzyme est hépatique ; déficit en tyrosine hydroxylase dont l’enzyme est neuronale), dermatologiques, ophtalmologiques, néphrologiques, rhumatologiques, etc. Le composé en excès peut habituellement être dosé par une chromatographie des acides aminés (CAA plasmatique, urinaire ou du LCR selon les cas) ou une chromatographie des acides organiques urinaires. Variées par les symptômes, les amino-acidopathies le sont également par le mode de révélation :

– le dépistage systématique chez un patient pré-symptomatique (par exemple phénylcétonurie) ;

– des symptômes aigus voire à rechute, tels que des détresses neurologiques ou viscérales ;

– des symptômes chroniques inexpliqués (cirrhose ou rachitisme et forme tardive de tyrosinémie de type I ; arthrose sévère et précoce dans l’alcaptonurie, etc.) ;

– un symptôme ou un syndrome spécifiquement évocateur d’un diagnostic. Par exemple, kératite herpès-like + plaques d’hyperkératose palmo-plantaire = tyrosinémie de type II, dite oculo-cutanée ;

– voire une embryofœtopathie (par exemple intoxication du nouveau-né par l’hyperphénylalaninémie maternelle, si la femme phénylcétonurique n’a pas suivi de traitement de sa maladie pendant la grossesse).

Bien que classées parmi les amino-acidopathies, les hyperphénylalaninémies (par exemple phénylcétonurie) et les déficits en transporteurs d’acides aminés feront l’objet de chapitres spécifiques.

Les acides gras (AG) sont l’un des principaux métabolites énergétiques de l’organisme. Leur β-oxydation mitochondriale participe également à la synthèse hépatique de corps cétoniques, substrats énergétiques utilisables par la plupart des organes. Les déficits héréditaires des différents transporteurs et enzymes impliqués dans ce métabolisme aboutissent à un défaut de production d’énergie et à l’accumulation de dérivés toxiques des AG. Les progrès récents de la biochimie métabolique (spectrométrie de masse en tandem, chromatographie des acides organiques…) et de la génomique, ainsi que l’utilisation de ces outils sur de larges populations (dépistage néonatal), ont permis de découvrir de nouvelles maladies, de décrire plusieurs phénotypes au sein d’un même déficit enzymatique, et de mieux comprendre la physiopathologie de ces maladies. Ils ont également permis de proposer de nouvelles approches thérapeutiques, adaptées à chaque déficit enzymatique, mais tenant également compte du phénotype et du génotype. Les déficits de β-oxydation des AG représentent donc aujourd’hui un groupe de maladies hétérogènes pour lesquelles la prise en charge diagnostique et thérapeutique doit prendre en compte ces différents paramètres.

Les vitamines sont de petites molécules organiques nécessaires au bon fonctionnement du métabolisme des êtres vivants au travers de leur transformation en molécules actives : les co-enzymes. De nombreuses enzymes (apoenzymes) ne sont actives qu’après association avec leur coenzyme spécifique pour donner la forme active, l’holoenzyme. La majorité des vitamines et notamment toutes celles du groupe B sont à l’origine de co-enzymes, cependant elles ne sont pas ou insuffisamment synthétisées par l’Homme. Nous sommes donc dépendants de la qualité de notre alimentation pour le bon fonctionnement de notre métabolisme. En revanche, l’organisme possède tout l’équipement enzymatique nécessaire à la transformation des vitamines en co-enzymes actives.

Les nucléotides puriques et pyrimidiques sont des constituants essentiels de la cellule et participent entre autres au transfert de l’énergie et à la synthèse de l’ADN et de l’ARN. Les principales erreurs du métabolisme des purines et pyrimidines touchent leurs voies de synthèse, de dégradation et de recyclage et sont associées à une grande diversité de présentations cliniques : des symptômes neurologiques et musculaires, des lithiases rénales, la goutte, et des anomalies hématologiques telles qu’une anémie ou des déficits immunitaires. Le diagnostic de ces maladies est crucial pour permettre un traitement spécifique pour certains déficits, mais aussi pour permettre un conseil génétique adéquat. Ce chapitre reprend les principales maladies héréditaires de ces voies métaboliques.

Les lysosomes sont des organelles de la cellule, responsables du renouvellement des constituants cellulaires et contenant des enzymes cataboliques opérant en milieu acide. Les maladies lysosomales, appelées aussi maladies de surcharge, constituent un groupe hétérogène, caractérisé par une accumulation lysosomale de macromolécules non digérées responsables d’une augmentation de la taille de ces organelles, entraînant un dysfonctionnement cellulaire et des anomalies cliniques [1].
Les maladies lysosomales ont longtemps été classées en fonction du substrat accumulé, telles les mucopolysaccharidoses, les glycoprotéinoses, les mucolipidoses, les sphingolipidoses.
La classification actuelle permet de prendre en compte d’autres mécanismes physiopathologiques que les enzymopathies isolées.

Les peroxysomes sont des organites intracellulaires catalysant des réactions essentielles pour la cellule comme la bêta-oxydation de certains acides gras et l’alpha-oxydation de l’acide phytanique. Toutes ces réactions d’oxydation conduisent à la production de peroxyde d’hydrogène, neutralisé ensuite par la catalase peroxysomale. Les peroxysomes assurent aussi la transamination du glyoxylate en glycine ainsi que les premières étapes de la synthèse des plasmalogènes. Il existe de nombreuses maladies peroxysomales, d’origine génétique, qui affectent la formation du peroxysome ou altèrent uniquement une seule fonction, enzymatique ou de transport. À l’exception de l’adrénoleucodystrophie liée à l’X, ces maladies sont transmises selon un mode autosomique récessif. Leur présentation est hétérogène, avec des formes néonatales, infantiles ou encore de l’adulte. Nous décrivons ici les présentations cliniques de ces atteintes, les gènes mutés, les fonctions des protéines impliquées, ainsi que le diagnostic biologique de ces affections.

Les anomalies congénitales de la glycosylation ou CDGs (Congenital Disorders of Glycosylation) sont des maladies en pleine expansion affectant la synthèse des glycanes [11]. La glycosylation fait partie des modifications post-traductionnelles et concerne différents types de structures glycanes. La mieux connue est la N-glycosylation qui a servi de base à la classification des CDGs.

La synthèse des N-glycanes consiste en un assemblage séquentiel et organisé de différents oses pour former un oligosaccharide tout d’abord porté par le dolichol puis transféré sur une chaîne peptidique dans le réticulum endoplasmique (RE). Les chaînes N-glycanes sont ensuite modifiées dans l’appareil de Golgi, avant que la N-glycoprotéine mature soit exprimée à la membrane ou sécrétée. Les anomalies observées dans les CDGs concernent la synthèse cytosolique des sucres activés (nucléotide phosphate-sucres), le transfert des sucres activés du cytosol au RE ou à l’appareil de Golgi (transporteur) et les enzymes permettant l’ajout (glycosyltransférases) ou l’hydrolyse (glycosidases) des sucres sur la chaîne glycane. Des mutations à l’origine de défauts de synthèse du dolichol ou de perturbations de l’homéostasie de l’appareil de Golgi peuvent aussi induire des anomalies de la N-glycosylation. Il existe deux types de CDG selon l’étape de synthèse déficiente : (i) les CDGs de type I (CDG-I) correspondant aux erreurs affectant la synthèse de l’oligosaccharide et/ou son transfert sur la chaîne peptidique en cours de traduction (cytosol et RE) et (ii), les CDGs de type II (CDG-II) correspondant à des défauts de la maturation de la chaîne N-glycane après son transfert sur la protéine (déficits enzymatiques, mutations sur transporteurs de sucres activés, perturbations de l’homéostasie golgienne) [4].

Les anomalies du métabolisme des métaux détaillées dans ce chapitre sont les anomalies du cuivre, du fer, du zinc et du manganèse.