S25 OPHTALMOLOGIE

S25 OPHTALMOLOGIE

S25

Ophtalmologie

 

José Sahel

Partie 1 - Ophtalmologie

L’anatomie de l’œil se divise en deux parties : celle du globe oculaire et celui de ses annexes (muscles et nerfs oculo-moteurs, paupières, système lacrymal et orbite).

Globe oculaire

Le globe oculaire est une sphère située dans la cavité orbitaire, reposant sur un tissu adipeux et protégé par les paupières. Il est mobilisé par les muscles oculomoteurs, mesure 25 mm dans son diamètre antéro-postérieur et son volume moyen est de 6,5 cm3. Il peut être décomposé en quatre parties principales (Figure S25-P1-C1-1) :

Les urgences ophtalmologiques constituent un groupe de pathologies variées, que tout médecin spécialiste mais aussi généraliste peut rencontrer dans son exercice quotidien. Leur prise en charge par un médecin généraliste est à la fois classique (démarche diagnostique basée sur le recueil des signes fonctionnels et des signes d’examen) et particulière (examen effectué sans l’équipement spécialisé dont dispose l’ophtalmologiste). L’examen ophtalmologique en urgence peut être orienté par le motif de consultation du patient.

Les paupières supérieures et inférieures ont un rôle anatomique et fonctionnel majeur. Elles assurent la protection du globe oculaire, mais permettent également, par le clignement palpébral, l’étalement permanent et régulier du film lacrymal à la surface de la cornée ainsi que le drainage des larmes.

Sur le plan anatomique, paupières supérieures et inférieures sont tout à fait comparables, constituées par la succession des cinq couches tissulaires : la peau, le muscle orbiculaire (puissant muscle circulaire assurant la fermeture des paupières et faisant partie des muscles peauciers de la face), la charpente fibrocartilagineuse (tarse et septum), les muscles rétracteurs des paupières (muscle releveur innervé par la troisième paire crânienne en paupière supérieure, doublé à la face profonde de son aponévrose par le muscle de Müller d’innervation sympathique – muscle rétracteur des paupières d’innervation sympathique en paupière inférieure), la conjonctive en contact permanent avec le globe oculaire ( Figure S25-P1-C3-1).

La conjonctive, la sclère et l’épiclère constituent les tuniques externes du globe oculaire, la cornée en représente la partie antérieure. La conjonctive est la muqueuse qui tapisse la surface oculaire depuis le bord libre palpébral jusqu’au limbe, périphérie de la cornée. La conjonctive qui tapisse la partie interne des paupières est la conjonctive tarsale, sa couleur rosée devient pâle dans les anémies et rouge vif dans les conjonctivites. La conjonctive bulbaire qui recouvre le globe est blanche, finement vascularisée, elle est le site privilégié de la recherche des ictères débutants. Dans tous les cas, l’appréciation de la « rougeur » oculaire doit être réalisée en lumière diffuse, au mieux celle du jour.

La cornée est un tissu transparent et avasculaire situé à la partie antérieure du globe oculaire. C’est une lentille convergente qui assure les deux tiers du pouvoir réfractif de l’œil. Toute altération de sa transparence ou de sa forme entraîne une baisse de la vision car l’image ne peut plus se focaliser correctement sur la partie centrale de la rétine, la macula. La cornée est composée d’avant en arrière d’un épithélium malpighien non kératinisé, d’un stroma fait de lamelles de collagène et de cellules fibroblastiques (kératocytes) et d’une monocouche de cellules hautement différenciées qui assurent une fonction de pompe, l’endothélium cornéen ( Figure S25-P1-C5-1). L’épithélium cornéen repose sur une membrane basale qui est au contact de la couche de Bowman (partie la plus superficielle du stroma cornéen). L’endothélium cornéen sécrète également une membrane basale qui s’épaissit au long de la vie (membrane de Descemet). La cornée est le tissu le plus riche en terminaisons nerveuses sensitives de l’organisme ce qui explique que la douleur tienne une place importante dans la sémiologie des pathologies cornéennes. Cette innervation est assurée par le nerf trijumeau. Les terminaisons sensitives sont situées dans l’épithélium.

Le cristallin est une lentille intra-oculaire biconvexe normalement transparente qui assure le tiers de la puissance réfractive de l’œil et dont la modification de forme, sous l’influence du muscle ciliaire, permet l’accommodation c’est-à-dire la vision nette de loin et de près. La pathologie du cristallin est dominée par la perte de sa transparence (cataracte), mais ne se résume pas à celle-ci. Le traitement de la cataracte, exclusivement chirurgical, donne d’excellents résultats. La perte physiologique de l’accommodation ou presbytie n’est pas, à proprement parler, une pathologie mais la simple marque du vieillissement.

Le glaucome est défini par une neuropathie optique progressive de la tête du nerf optique qui peut entraîner une cécité irréversible par atteinte du champ visuel. C’est la deuxième cause de cécité irréversible dans les pays du Nord. On estime que 1 à 3 % de la population française serait à risque, dont la moitié l’ignore. Sa fréquence augmente avec l’âge.

La papille, partie visible de la tête du nerf optique lorsqu’on fait le fond d’œil, est le point de convergence de toutes les fibres optiques qui parcourent la rétine et qui vont former le nerf optique après avoir traversé la lame criblée. Ce carrefour critique est sensible à l’augmentation de la pression intra-oculaire, à la dégradation de sa vascularisation et à la qualité neuronale. Ainsi, si l’hypertension oculaire est la cause la plus fréquente de glaucome, des facteurs vasculaires et neuronaux interviennent également, notamment dans le glaucome à pression normale qui est un diagnostic différentiel des neuropathies optiques non glaucomateuses.

L’hypertension oculaire est liée à une obstruction sur les voies d’écoulement de l’humeur aqueuse qui, secrétée en chambre postérieure par les corps ciliaires, passe en chambre antérieure, puis est éliminée par le trabéculum dans l’angle iridocornéen.

Le glaucome a des causes diverses, c’est pourquoi on parle maintenant de glaucomes au pluriel. On en distingue deux types principaux : les glaucomes à angle ouvert, les plus fréquents, chroniques, lentement progressifs, longtemps asymptomatiques, et les glaucomes à angle fermé qui se manifestent plus souvent brutalement par poussée(s) aiguë(s) à symptomatologie bruyante, que de façon chronique.

Le traitement ophtalmologique se limite à faire baisser la pression intra-oculaire par des moyens médicaux, par laser ou par chirurgie.

Le suivi de la neuropathie est strictement ophtalmologique combinant examen clinique et examens complémentaires.

L’uvéite correspond étymologiquement à une inflammation de l’uvée, couche intermédiaire vascularisée de l’œil qui comprend l’iris, le corps ciliaire et la choroïde. Dans les pays industrialisés, l’incidence, toutes causes confondues, est estimée entre 17 et 24 pour 100 000 habitants et la prévalence de 38 à 204 pour 100 000 habitants [1]. En France, ceci correspondrait à environ 9 400 à 14 000 nouveaux cas par an et à une prévalence de 21 000 à 112 000 patients. De plus, 5 à 20 % des cécités légales seraient liées à l’uvéite dans les pays industrialisés, c’est dire la gravité potentielle de cette affection. Le coût de sa prise en charge est équivalent à celui de la rétinopathie diabétique, affection bien plus fréquente. L’uvéite constitue donc une entité non rare et potentiellement cécitante dont l’investigation étiologique représente un défi pour l’ophtalmologiste et l’interniste. En effet, le rendement diagnostique oscillerait entre 60 et 70 % selon certaines séries [1], et ces taux seront amenés à s’améliorer grâce à l’avènement de nouvelles techniques de biologie moléculaire, d’immunologie et d’imagerie. Des avancées majeures ont également été réalisées en matière de traitements et la corticothérapie ne constitue plus la seule arme à notre disposition. Ainsi, les biothérapies ciblées font de nos jours partie intégrante de la prise en charge et la thérapie cellulaire n’est plus guère ce lointain objectif considéré autrefois inatteignable. Il ne faut toutefois pas omettre les causes infectieuses qui restent fréquentes représentant environ 32 % des uvéites chroniques sévères [1]. Une pathologie infectieuse causale doit donc impérativement être recherchée afin d’instaurer le plus précocement possible une thérapie spécifique adaptée en association avec une démarche anti-inflammatoire agressive, permettant d’éviter les séquelles d’une inflammation chronique fatalement destructrice pour les tissus oculaires [2].

Les infections oculaires peuvent être d’origine bactérienne, virale, mycosique ou parasitaire. Afin de poser le diagnostic des infections oculaires, différentes méthodes permettent l’identification des organismes responsables selon la localisation de l’atteinte oculaire : grattage conjonctival ou cornéen (voire biopsie cornéenne) dans des cas de conjonctivites ou de kératites. Des prélèvements intra-oculaires (humeur aqueuse ou vitré) sont nécessaires si l’infection est profonde dans des cas d’uvéites ou d’endophthalmie (encadré S25-P1-C9-1).

Concernant le traitement, certaines infections oculaires nécessitent un traitement topique (conjonctivites ou certaines kératites), systémique (uvéites, endophtalmies…), voire des injections intravitreénnes (endophthalmies).

De nombreuses pathologies sont traitées en rétine médicale dont les plus fréquentes sont la DMLA, la rétinopathie diabétique et les occlusions veineuses. Ces pathologies atteignent très souvent la macula (région centrale de la rétine) avec, pour conséquence, une baisse de la vision centrale. Les moyens d’exploration et de suivi des maladies rétiniennes, sont aujourd’hui assurés par l’OCT (optical coherence tomography) et l’angiographie à la fluorescéine et/ou au vert d’indocyanine. L’arsenal thérapeutique des maladies de la rétine s’est aujourd’hui étoffé et comprend les traitements par laser thermique, photothérapie dynamique et injections intravitréennes (anti-vascular endothelial growth factor [VEGF] ou corticoïdes).

Les pathologies rétiniennes d’origine génétique sont un groupe cliniquement et génétiquement hétérogène de maladies rares (prévalence d’environ 1/2 000) dont la plupart conduisent à un handicap visuel sévère. Même si, depuis décembre 2017, la Food and Drug Administration (FDA) a approuvé le premier médicament de thérapie génique pour les rétinopathies associées aux mutations sur le gène RPE65 [19], les options thérapeutiques sont limitées avec des progrès de la recherche translationnelle promettant des développements enthousiasmants [14]. Ces pathologies peuvent être restreintes à la rétine ou survenir dans le cadre d’un syndrome avec le défi supplémentaire du polyhandicap. Diverses classifications de ces dystrophies ont pu être utilisées au cours des années et sont maintenant revisitées à la lumière des progrès de la génétique moléculaire qui ont non seulement bouleversé notre compréhension de ces pathologies, mais aussi souligné la complexité des mécanismes physiopathologiques et l’importance des corrélations phénotype/génotype.

Par définition, l’exophtalmie est une augmentation de la protrusion du globe oculaire en avant du cadre osseux orbitaire ( Figures S25-P1-C12-1 et S25-P1-C12-2). Elle est le plus souvent due à une augmentation du contenu orbitaire par une inflammation tissulaire ou un processus tumoral, et se caractérise par son caractère uni- ou bilatéral, axile ou non axile, réductible ou irréductible.

Diplopie

Définition

La diplopie est la perception double d’un objet unique. Il est essentiel, dès le début de l’interrogatoire, de savoir si la diplopie est monoculaire ou binoculaire, car si la diplopie monoculaire est toujours liée à une anomalie oculaire, une diplopie binoculaire peut révéler une pathologie neuro-ophtalmologique grave mettant en jeu le pronostic vital (Tableau S25-P01-C13-I).

Tableau S25-P01-C13-I Urgences devant une diplopie binoculaire aiguë.

Le terme « strabisme » est un nom générique pour désigner une déviation (horizontale, verticale ou oblique) des axes visuels par rapport à la statique et/ou la dynamique normales du système oculaire. L’angle peut être aisément décelable (strabisme patent) ou indétectable sans appareillage (microstrabisme). Le strabisme doit être considéré comme un symptôme, dont la cause éventuelle, parfois gravissime, doit être immédiatement recherchée. De plus, il peut induire à lui seul des conséquences sérieuses sur l’aptitude visuelle (acuité visuelle, vision stéréoscopique, vision des contrastes et des couleurs). Les frontières avec la normale peuvent en être difficiles à déterminer en raison de particularités morphologiques du visage, notamment des paupières (Tableau S25-P01-C14-I).

Les tumeurs oculaires peuvent être malignes ou bénignes, en surface ou intra-oculaires, uniques ou multiples, uni ou bilatérales, pigmentées ou non pigmentées. Ce sont des pathologies rares qui doivent être prises en charges par l’ophtalmologiste, souvent de concert avec des radiothérapeutes, des oncologues médicaux en cas de lésions malignes. Certaines de ces lésions doivent être traitées en urgence (c’est le cas notamment des rétinoblastomes de l’enfant). Un catalogue exhaustif de ces tumeurs ne tiendrait pas en ces pages mais nous nous efforcerons ici de dresser les tableaux les plus fréquentes et nécessitant une prise en charge spécifique et rapide.

L’œil est un organe qui peut être atteint dans un grand nombre de maladies vasculaires, endocriniennes, infectieuses ou inflammatoires.

De nombreux médicaments ont des effets secondaires ophtalmologiques de gravité variable. On distingue deux grands types de toxicité : soit un médicament est toxique chez tous les patients avec des effets secondaires proportionnels à la dose ; soit la réaction toxique ne se manifeste que chez certains individus prédisposés (rôle des facteurs génétiques, locaux ou environnementaux) et l’on parle alors d’effet « idiosyncrasique » où le médicament a un rôle précipitant.

Ce chapitre explique d’abord les différents types d’atteinte anatomique possibles et leurs mécanismes ; puis détaille les effets secondaires des principales classes médicamenteuses avec les conduites à tenir. Nous n’aborderons pas ici les effets secondaires des collyres.

La rougeur oculaire est un motif fréquent de consultation en urgence ophtalmologique. Il est important dans un premier temps de rechercher s’il existe une baisse d’acuité visuelle (BAV) associée à une douleur, pour identifier une pathologie grave menaçant la fonction visuelle et/ou l’intégrité du globe oculaire. L’anamnèse devra ensuite faire préciser le mode d’installation, la durée des symptômes, les antécédents généraux et ophtalmologiques, les circonstances de survenue (port de lentilles de contact, traumatisme…), les caractéristiques de la douleur ainsi que les autres signes fonctionnels associés (larmoiement, prurit, sécrétions, photophobie, sensation de corps étranger…). Des éléments cliniques simples permettent d’orienter le diagnostic étiologique, mais une consultation d’ophtalmologie, en urgence ou différée, sera le plus souvent nécessaire.

Après l’interrogatoire, trois cas de figure peuvent se présenter (Figure S25-P1-C18-1) :