S27 Pathologie orale et maxillofaciale

S27 Pathologie orale et maxillofaciale

S27

Pathologie orale et maxillofaciale

 

Patrick Goudot

Examen clinique

Premier contact avec autrui, la face est la première région du patient accessible à l’examen médical. Outre son expression symptomatique, elle traduit aussi la charge d’émotion du patient en rapport avec le motif de sa consultation.

La chirurgie buccodentaire, comme tout acte médical, doit être prise en charge de façon rigoureuse.

Les indications et contre-indications sont posées non seulement en fonction du but thérapeutique, mais également en fonction des antécédents et des traitements en cours. Dans ce chapitre, nous allons voir quels sont les traitements pouvant poser problèmes lors de la chirurgie bucco-dentaire.

La muqueuse buccale normale n’est pas partout la même, fine et lisse sur la face ventrale de la langue et sur la face interne des lèvres et des joues (une ligne blanche en relief, la linea alba en regard de la ligne d’occlusion des dents, est souvent accentuée chez les patients anxieux et bruxomanes), épaisse et adhérente (fibro-muqueuse masticatoire) sur la gencive et le palais tapissant les reliefs osseux (apophyses, raphé, torus) ou formant des crêtes ou papilles palatines, épaisse et hérissée de papilles filiformes et fungiformes sur le dos de la langue, et en arrière de papilles caliciformes marquant le V lingual. Des variations individuelles, non pathologiques, sont observées [9]. Les papilles foliées et les amygdales linguales sont des formations anatomiques nodulaires lymphoïdes situées dans la partie postérieure des bords de la langue, souvent sources d’inquiétude chez certains patients anxieux et cancérophobes. Les grains de Fordyce, glandes sébacées hétérotopiques, situés sur la muqueuse des joues et des lèvres, forment des petits points jaunâtres en « tête d’épingle », parfois groupés en rosettes. Ils augmentent en nombre avec l’âge. Dans la langue géographique…

Les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [7]ont clarifié nomenclature, définitions et classifications pour un diagnostic aisé dans la pratique clinique en se basant sur les connaissances les plus actuelles de la cancérogenèse de la muqueuse orale. Le terme consensuel retenu est « lésion ou affection potentiellement maligne ». Les termes « précancéreux », « précurseur », « prémalin », « néoplasie intra-épithéliale » ne devraient plus être utilisés. La nouvelle terminologie indique que le cancer peut apparaître en n’importe quel endroit de la muqueuse buccale, même sur une muqueuse d’apparence normale, et pas seulement sur le site spécifique de la lésion observée.

Les cancers de la cavité orale sont, dans 90 % des cas, des carcinomes épidermoïdes, développés aux dépens de la muqueuse. Les 10 % restants sont représentés par les « cancers rares », principalement des tumeurs des glandes salivaires accessoires et des sarcomes, ainsi que par des localisations d’hémopathies malignes.

Le principal facteur de risque connu de ces cancers est la consommation associée de tabac et d’alcool, dont l’action synergique multiplie par 13 le risque de développer une telle tumeur. L’évolution de l’épidémie tabagique dans les pays occidentaux explique la stagnation actuelle du taux d’incidence de la maladie chez les hommes et son augmentation chez les femmes. Cette maladie touche habituellement l’homme de 58 à 65 ans, alcoolo-tabagique (consommation de tabac ≥ 40 paquets-années [PA], alcool ≥ 40 g/j) [2]. Cependant, 15 à 20 % des patients sont non-fumeurs, non-buveurs, et se répartissent en deux populations : des patients de 30 ans, hommes ou femmes, présentant un cancer de la langue ou du plancher buccal, et des femmes âgées (80 ans et au-delà) porteuses de tumeurs gingivales. À l’heure actuelle, les facteurs de risque de ces cancers sont inconnus, et l’hypothèse d’un rôle du papillomavirus humain (HPV) (par analogie avec certains cancers de l’oropharynx) semble devoir être écartée [1].

On appelle « adénopathie » un ganglion de plus de 1 cm de grand axe. Sa découverte, dans la région cervicale, doit faire évoquer un certain nombre de diagnostics spécifiques, en plus de ceux traités à la classique question « adénopathie superficielle ».

L’interrogatoire doit s’attacher à préciser la date de début (adénopathie aiguë ou chronique > 3 semaines), les circonstances d’apparition (plaie, morsure, griffure de l’extrémité céphalique, lésion endobuccale, douleurs et/ou soins dentaires…). Les signes d’accompagnement (fièvre, sueurs, amaigrissement, asthénie, prurit…), ainsi que les expositions à des pathogènes spécifiques (profession, voyages, animaux domestiques,) seront soigneusement recherchés. On réalisera systématiquement l’évaluation de la consommation de tabac et/ou d’alcool.

Hémopathies

Les manifestations buccales des désordres hématologiques sont soit spécifiques et évocatrices, soit seulement des lésions secondaires, témoins indirects de la maladie.

Elles se présentent sous différents aspects cliniques et n’ont le plus souvent aucun caractère spécifique pouvant les rattacher à une origine médicamenteuse [8]. L’interrogatoire, généralement compliqué ou imprécis, est pourtant essentiel afin de pouvoir faire le lien entre la prise médicamenteuse et la survenue des lésions buccales. Parfois, cette relation ne peut être clairement établie, en raison des polymédications fréquentes et surtout parce qu’il n’existe aucun marqueur biologique ou histologique pouvant prouver la responsabilité des produits suspectés. Seule la disparition des lésions après suppression du médicament ou du toxique peut a posteriori conforter ce diagnostic. L’« imputabilité » repose sur un faisceau d’arguments souvent difficile à réunir : délai d’apparition après la prise du médicament (quelques minutes pour une réaction de type anaphylactique à plusieurs semaines pour une réaction à type d’hypersensibilité), dernier médicament introduit, absence d’autre étiologie possible à l’effet observé, argument de « notoriété » pour certains médicaments (antibiotiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens…) et enfin l’évolution favorable à l’arrêt du traitement. La réintroduction du produit serait l’argument formel, mais ne doit en aucun cas être effectuée. Les centres de pharmacovigilance peuvent être sollicités au moindre doute ; ils ont une fonction d’information et enregistrent toutes les données sur les effets secondaires des médicaments.

Les os de la face peuvent être le siège, au même titre que le reste du squelette, de pathologies kystiques, infectieuses, tumorales (bénignes ou malignes, primitives ou secondaires), inflammatoires et/ou iatrogènes. Si certaines de celles-ci concernent autant le massif facial que les membres ou le rachis, d’autres sont beaucoup plus spécifiques, notamment par le rôle de support à l’organe dentaire et de proximité avec la cavité buccale des maxillaires et de la mandibule.

Pathologies non tumorales

La pathologie non tumorale des glandes salivaires est principalement infectieuse, en rapport ou non avec la présence de lithiases. Elle peut être plus générale dans le cadre des maladies systémiques (syndrome de Gougerot-Sjögren par exemple), mais aussi des troubles du comportement alimentaire, des imprégnations médicamenteuses, ou des troubles psychopathologiques.

La base du diagnostic, après l’examen clinique, est toujours l’échographie spécialisée, la sialographie, le scanner ou le CBCT (cone beam computed tomography) et dans certains cas l’IRM.

Une prise en charge précoce et adaptée est nécessaire à chaque type de pathologie, avec actuellement une grande place des techniques mini-invasives comme la sialendoscopie, la lithotripsie extracorporelle, et l’injection intraglandulaire de toxine botulique sous contrôle échographique.

Dysfonction de l’appareil manducateur

La pathologie des articulations temporomandibulaires est dominée par les dysfonctions de ce qu’il est convenu d’appeler l’appareil manducateur, qui associe en particulier les articulations temporomandibulaires, l’ensemble des muscles manducateurs (muscles élévateurs, muscles propulseurs et muscles abaisseurs de la mandibule) et le massif lingual. Les causes de ces dysfonctions sont essentiellement le stress, les troubles de l’occlusion dentaire, les dyspraxies linguales et les troubles de la ventilation nasale [2]. Ces dysfonctions manducatrices sont à large prédominance féminine (80 %) et le motif de consultation est nettement dominé par les douleurs (80 %) devant les bruits articulaires (35 %) et les limitations de l’ouverture buccale (25 %). Ces douleurs peuvent être articulaires ou musculaires ou égarer le diagnostic vers d’autres organes (otalgies, douleurs orbitaires, céphalées de tension par exemple). Le bruxisme, en particulier nocturne, fait volontiers partie du tableau clinique, parfois objectivé par des abrasions dentaires. L’examen doit rechercher des signes articulaires inflammatoires, des bruits articulaires (claquements à l’ouverture buccale), des troubles de la cinétique mandibulaire (ressaut, déviation, limitation de l’ouverture buccale), des signes musculaires à type de douleurs, contractures de la musculature manducatrice, voire de l’ensemble musculaire cervicoscapulaire. L’examen clinique suffit en règle à authentifier la dysfonction condylodiscale de l’articulation temporomandibulaire [3]. Un cliché panoramique écarte une pathologie osseuse et l’IRM ne devient nécessaire qu’en cas d’hésitation diagnostique ou résistance aux traitements symptomatiques. Un examen postural est parfois nécessaire [1]. Le traitement est avant tout symptomatique. Une gouttière occlusale, le plus souvent portée uniquement la nuit, une rééducation entre les mains d’un kinésithérapeute spécialisé, des injections de toxine botulinique au sein des muscles élévateurs sont les bases de ce traitement symptomatique. Ce n’est que lorsque la symptomatologie a régressé que le traitement étiologique peut être entrepris à type de réhabilitation prothétique ou correction de dysmorphie maxillomandibulaire par exemple.

Douleurs buccales symptomatiques

La douleur souvent isolée, symptôme majeur des affections stomatologiques, est le motif principal de consultation. Ses caractères peuvent parfois suffire à porter un diagnostic, orienter le reste de l’examen avec précision ou parfois à l’inverse induire des erreurs déconcertantes.

Les maladies dentaires sont les principales étiologies des douleurs buccales. Les lésions de la muqueuse buccale qu’elles soient inflammatoires (lichen plan, infectieuse), érosives (stomatites vésiculeuses, bulleuses) ou ulcéreuses (aphte, traumatisme, carcinome) sont douloureuses. Les dysfonctionnements des articulations temporomandibulaires sont responsables de tableaux douloureux facilement identifiables.

L’occlusion dentaire (rapport entre les arcades maxillaire et mandibulaire) s’apprécie dents serrées. Idéalement, dans une occlusion de classe I d’Angle, toutes les dents mandibulaires viennent au contact des dents maxillaires et les canines et premières molaires mandibulaires se placent en avant de leurs homologues maxillaires. Les points inter-incisifs médians maxillaire et mandibulaire doivent être centrés et alignés ( Figure S27-C13-1). Les anomalies de cette occlusion dentaire se jugent dans les trois plans sagittal, vertical et transversal, et peuvent être d’origine dentaire, alvéolaire et osseuse, de façon conjuguée ou indépendante. L’orthodontie tend à corriger les anomalies dento-alvéolaires en alignant les dents, l’orthopédie dentofaciale tend à aligner ou corriger la croissance des mâchoires (maxillaires et mandibule) et la chirurgie orthognathique corrige les rapports entre les mâchoires.

Le vieillissement buccofacial ne peut être isolé du vieillissement général. Il présente cependant certaines particularités, liées notamment au fait qu’aux maxillaires et à la mandibule, il est très aggravé par la perte des dents. Les muscles faciaux sont également affectés par l’âge, mais les effets du vieillissement sont très difficiles à évaluer. Ils dépendent également de la fonction et seront aussi affectés par la perte des dents. Les plans superficiels de la face, sont particulièrement soumis à l’exposition solaire qui constitue le principal facteur de vieillissement.

Prévention de la carie

La carie dentaire est une des plus anciennes pathologies ; on retrouve des caries sur dents humaines datant du néolithique mais également chez les Égyptiens, les Grecs ou les Romains. C’est au cours des XIVe et XVe siècles que cette pathologie s’est étendue avec la consommation de sucres raffinés. La carie dentaire est une atteinte bactérienne non spécifique entraînant une destruction plus ou moins rapide des tissus durs de la dent. Cette flore bactérienne constitue un biofilm, encore appelé plaque dentaire, composé de plusieurs dizaines d’espèces de bactéries dont 20 % sont des streptocoques. Chaque espèce possède des spécificités particulières, certaines sont inoffensives, d’autres potentiellement pathogènes. Ces différentes espèces bactériennes vivent en équilibre en fonction de multiples facteurs environnants : système immunitaire, constantes physicochimiques, facteurs mécaniques endogènes et/ou exogène. Toute modification des facteurs environnementaux entraîne un déséquilibre de la composition du biofilm, ainsi certaines bactéries commensales peuvent devenir pathogènes ; c’est ainsi que les streptocoques vont être les chefs de file de l’agression carieuse. Parmi ceux-ci, le plus souvent mis en évidence est le Streptococcus mutans, d’autres familles bactériennes sont également retrouvées dont les lactobacilles avec comme représentant le Lactobacillus acidophilus, mais également les actinomyces.