S13
Pancréatologie
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Chapitre S13-P01-C07
Tumeurs pancréatiques
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Les tumeurs pancréatiques recouvrent un très large éventail histologique de lésions, allant de tumeurs totalement bénignes à des tumeurs malignes au pronostic particulièrement sombre. Ces tumeurs bénignes ou malignes peuvent se présenter sous forme de tumeurs solides ou kystiques et se développer aux dépens du tissu pancréatique exocrine ou endocrine. Dans ce contexte, toute tumeur pancréatique nécessite d’être explorée en milieu spécialisé afin de déterminer au mieux sa nature et adapter sa prise en charge.
La Figure S13-P1-C7-1 résume les principales tumeurs pancréatiques rencontrées, en fonction de leur malignité supposée et de leur aspect éventuellement kystique ou solide. Ce sont ces caractéristiques morphologiques immédiatement accessibles en imagerie en coupe qui servent souvent de base au raisonnement diagnostique. Nous aborderons dans les lignes qui suivent les principales tumeurs pancréatiques, sans entrer dans le détail de la démarche diagnostique ou de leur prise en charge, qui dépasse largement le cadre de cet ouvrage.
Tumeurs pancréatiques solides
Adénocarcinome pancréatique
Les tumeurs pancréatiques solides représentent plus de 80 % des tumeurs pancréatiques et l’adénocarcinome du pancréas est la tumeur la plus fréquente [23].
Épidémiologie
L’adénocarcinome du pancréas touche en France 7 500 à 8 000 personnes par an, plus fréquemment des hommes dans leur 7e ou 8e décennie. Les principaux facteurs de risque connus sont le tabagisme, l’obésité [3], [12], la pancréatite chronique alcoolique, héréditaire ou tropicale et les tumeurs kystiques mucineuses du pancréas. Dans 5 % de cas, on retrouve un contexte familial qui peut ou non s’intégrer dans un contexte syndromique (cancers du sein et de l’ovaire familiaux, mélanome familial multiple, syndrome de Peutz-Jeghers, syndrome de Lynch, etc.).
Diagnostic
Clinique
L’adénocarcinome du pancréas peut être découvert devant un syndrome de masse qui, en fonction de la localisation céphalique ou caudale de la tumeur, se manifestera par un ictère rétentionnel de type cholestatique, une sténose duodénale ou des douleurs abdominales ou dorsales intenses transfixiantes, signant en général une tumeur évoluée. Plus rarement, il peut se manifester par l’apparition ou l’aggravation récente d’un diabète, d’une insuffisance pancréatique exocrine ou une pancréatique aiguë ou, beaucoup plus rarement, être découvert de façon fortuite. Une altération importante de l’état général accompagne souvent la présentation clinique.
Biologie
En plus d’un bilan biologique standard avec bilan hépatique (recherche d’une cholestase), bilan d’hémostase (recherche d’une carence en vitamine K en cas d’ictère), bilan de la fonction rénale, bilan glycémique et bilan nutritionnel, on dosera les marqueurs tumoraux non spécifiques ACE et CA19-9 [9].
Imagerie
Son but est double : affirmer le diagnostic et réaliser un bilan d’extension préthérapeutique. L’imagerie pancréatique repose en grande partie sur l’imagerie en coupe et, en particulier, la TDM thoraco-abdomino-pelvienne injectée, quatre temps, avec coupe fine sur le pancréas [6][15] (Figure S13-P1-C7-2) ou IRM hépato-bilio-pancréatique avec séquence de diffusion pour au mieux apprécier la diffusion métastatique hépatique. Elle met le plus souvent en évidence une tumeur mal limitée, hypodense, peu vascularisée. Une attention toute particulière doit être prêtée à la recherche de métastases à distance, fréquentes, en particulier au niveau hépatique, ou d’un contact avec l’artère mésentérique supérieure ou le tronc splénomésaraique. En deuxième intention, peut être réalisée une écho-endoscopie.
Histologie
Si une preuve histologique n’est pas indispensable avant une chirurgie à visée curatrice, elle est nécessaire avant un traitement néo-adjuvant ou une chimiothérapie d’induction. Cette preuve histologique s’obtient au mieux par ponction sous écho-endoscopie ou, plus rarement, par voie scanographique.
Principe de prise en charge
La prise en charge doit se faire dans des centres spécialisés à haut volume [19] et dépendra essentiellement du terrain et du stade au diagnostic (Figure S13-P1-C7-3).
Schématiquement si la tumeur est d’emblée résécable, c’est-à-dire sans métastase à distance ou atteinte du tronc porte, de l’artère ou de la veine mésentérique supérieure ou encore de l’artère hépatique, alors une chirurgie d’exérèse R0 avec lymphadénectomie (duodéno-pancréatectomie céphalique pour les tumeurs de la tête ou spléno-pancréatectomie gauche pour les tumeurs corporéocaudale) doit être proposée, suivi d’une chimiothérapie adjudante de 6 mois [21]. En cas de tumeurs borderline, c’est-à-dire de résécabilité locale limite ou de tumeur localement avancée, c’est-à-dire présentant une contre-indication locale à son exérèse, un traitement néo-adjuvant ou d’induction (chimiothérapie plus ou moins suivie à une radio-chimiothérapie) doit être proposée. Enfin, pour les tumeurs métastatiques, une chimiothérapie exclusive (Gemzar® ± Abraxane®, Folfirinox® [4]) sera proposée.
Tumeurs neuro-endocrines
Épidémiologie
Beaucoup plus rares que l’adénocarcinome pancréatique, elles représentent 1 à 2 % des tumeurs pancréatiques avec une incidence annuelle de 1 à 2 cas par 1 000 000 habitants. Le plus souvent sporadiques, elles peuvent avoir une origine génétique, en particulier dans le cadre de la néoplasie endocrinienne multiple (NEM) de type 1, de la maladie de von Hippel-Lindau, de la neurofibromatose de type 1 (maladie de von Recklinghausen) ou de la sclérose tubéreuse de Bourneville (Tableau S13-P01-C07-I).
Diagnostic
Clinique
On distingue les tumeurs non fonctionnelles, aujourd’hui les plus fréquentes, souvent découvertes de façon fortuite [3], [10] (incidentalome) ou sur un syndrome de masse, des tumeurs fonctionnelles, ces dernières étant définies par les symptômes cliniques liés à une hypersécrétion hormonale. Les tumeurs fonctionnelles les plus fréquentes sont l’insulinome [5], [18] qui se manifeste par des signes d’hypoglycémie organique à distance des repas, disparaissant après resucrage (10 % sont d’origine génétique, 10 % multiples et 10 % malins) et le gastrinome [14] qui se manifeste par le syndrome de Zollinger-Ellison, associant maladie ulcéreuse sévère, multiple et diarrhée chronique (20 % sont d’origine génétique, la plupart multiple et 60 % malins). Les autres sécrétions responsables de symptômes sont les sécrétions de VIP (vasoactive intestinal peptide) (VIPome dans le cadre d’un syndrome de Verner-Morrison, diarrhée hydrique cholériforme), de glucagon (glucagonome, diabète et érythème nécrolytique migrateur), somatostatine (somatostatinomes, diabète) ou plus rarement PTHrp (parathyroid-hormone-related peptide) ou ACTH (adrenocorticotropic hormone)…
Syndrome génétique | Fréquence (%) | Type |
---|---|---|
NEM-1 | 80-100 | Tumeurs non fonctionnelles, gastrinomes, insulinomes |
VHL | 12-20 | Tumeurs non fonctionnelles |
NF-1 (von Recklinghausen) | < 10 | Principalement somatostatinomes ; gastrinomes, insulinomes |
Sclérose tubéreuse | < 5 | Tumeurs non fonctionnelles, gastrinomes, insulinomes |
NEM : néoplasie endocrinienne multiple ; NF-1 : neurofibromatose de type 1 ; VHL : maladie de von Hippel-Lindau. |
Biologie
Outre les dosages spécifiques des peptides qui sont à orienter en fonction des symptômes cliniques et les éventuelles épreuves dynamiques associées (épreuve de jeûne en milieu hospitalier en cas de suspicion d’insulinome), deux marqueurs tumoraux sont à doser : la chromogranine A et le NSE (énolase neurone-spécifique).
Imagerie
L’imagerie en coupe va permettre d’affirmer le diagnostic et de réaliser un bilan d’extension pré-thérapeutique. En TDM avec injection, les tumeurs neuroendocrines sont classiquement bien limitées, homogènes, avec une prise de contraste précoce au temps artériel très caractéristique (Figure S13-P1-C7-4), qui disparaît souvent sur les tumeurs de plus grande taille. L’IRM avec séquence de diffusion permet aussi d’apprécier au mieux l’extension, en particulier métastatique hépatique. L’imagerie des récepteurs de la somatostatine, Octréoscan ou plus récemment TEP-DOPA ou TEP-DOTATOC, participe aussi au bilan diagnostique et d’extension des tumeurs neuro-endocrines pancréatiques.
Histologie
Si une preuve histologique n’est pas indispensable avant une chirurgie à visée curatrice, elle est nécessaire avant la chimiothérapie. Cette preuve histologique s’obtient au mieux par ponction sous écho-endoscopie ou, plus rarement, par voie scanographique. Le grade histologique, établi selon la classification OMS 2010 [16], est un facteur pronostique majeur, au même titre que la présence de métastases ganglionnaires ou à distance (Tableau S13-P01-C07-II).
Grade | Nombre de mitoses par 10 champs à fort grossissement | Index Ki-67 (%) |
---|---|---|
Bas grade (G1) | < 2 | ≤ 2 |
Grade intermédiaire (G2) | 2-20 | 3-20 |
Haut grade (G3) | > 20 | > 20 |
Principes de prise en charge
La chirurgie reste le seul traitement potentiellement curatif et doit toujours être discutée, même pour les tumeurs localement avancées ou métastatiques.
En cas de contre-indications à un traitement chirurgical, des traitements locaux comme la destruction par radiofréquence ou la chimio-embolisation, ou des traitements systémiques à visée antitumorale (analogues de la somatostatine, chimiothérapie, biothérapie) peuvent être proposés.
Pronostic
Le pronostic des tumeurs pancréatiques neuro-endocrines est bien meilleur que celui des adénocarcinomes pancréatiques. Il dépend essentiellement du stade au diagnostic, de la présence de métastases ganglionnaires ou viscérales, du grade OMS de la lésion et du type de sécrétion.
Autres tumeurs pancréatiques solides
Le spectre des tumeurs pancréatiques solides ne se limite pas aux seuls adénocarcinomes pancréatiques ou aux tumeurs neuro-endocrines. Il faut savoir évoquer les diagnostics rares de carcinomes à cellules acineuses, de pancréatoblastome, de carcinome adénosquameux, de métastases pancréatiques (souvent de carcinome à cellules claires du rein, de cancer du sein ou de mélanome, etc.), de petite tumeur solide et pseudo-papillaire, d’exceptionnel lymphome ou de sarcome pancréatique, de cystadénome séreux de forme solide. Il existe aussi des pseudo-tumeurs, de diagnostic souvent difficile, pancréatite auto-immune pseudo-tumorale ou nodule isolé de pancréatite chronique.
Tumeurs pancréatiques kystiques
Les tumeurs kystiques du pancréas, bien que moins fréquentes ont vu leur incidence régulièrement augmenter au cours des dernières années, en particulier avec la diffusion des examens d’imagerie en coupe [7]. Les principales tumeurs pancréatiques kystiques sont brièvement détaillées ci-dessous (voir Figure S13-P1-C7-3).
Cystadénome séreux
Il s’agit des tumeurs survenant en général chez la femme (60 à 70 %), diagnostiquées vers la 6e décennie, le plus souvent sous forme d’incidentalome [1][11][13]. Ces tumeurs peuvent toucher l’ensemble du pancréas et ont un aspect caractéristique en imagerie, le plus souvent non encapsulé, multikystique, associé à des calcifications centrales (Figure S13-P1-C7-5). Ces lésions ne communiquent pas avec le canal de Wirsung, ont une évolution très lente et ne dégénèrent que de façon très exceptionnelle. En l’absence de symptôme, et si le diagnostic est certain, l’abstention thérapeutique est la règle.
Cystadénome mucineux
Il s’agit de tumeurs survenant quasi exclusivement chez la femme (95 %), diagnostiquées vers la 4e ou 5e décennie, dans la moitié des cas sur des symptômes [17][24]. Ces tumeurs touchent quasi exclusivement le pancréas caudal et ont un aspect en imagerie caractéristique (Figure S13-P1-C7-6), le plus souvent encapsulé, monokystique, associé à des calcifications centrales. Ces lésions ne communiquent pas avec le canal de Wirsung, mais ont un potentiel de dégénérescence certain, en particulier lorsqu’elles font plus de 4 cm. Une exérèse pancréatique est la règle devant tout cystadénome mucineux.
Tumeurs intrapapillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) (Voir aussi Chapitre S13-P01-C06)
Ce sont les tumeurs pancréatiques dont la connaissance et la prise en charge ont probablement le plus progressé au cours des quinze dernières années [22]. Elles correspondent à une prolifération tumorale intracanalaire, par définition de taille supérieure à 1 cm, pouvant évoluer à terme vers un adénocarcinome pancréatique selon une séquence « dysplasie de grade croissant-carcinome » avec un risque compris entre 10 % (canal secondaire) et 50 % (canal principal) selon la topographie de l’atteinte canalaire. Ces tumeurs sont très hétérogènes. Elles peuvent toucher le canal principal et/ou les canaux secondaires et peuvent être uniloculaires ou diffuses. Elles entraînent une production exagérée de mucine, conduisant à la distension des canaux et à la kystisation tumorale. Le diagnostic positif et topographique de ces tumeurs repose sur la TDM, mais principalement la cholangio-pancréato-IRM (Figure S13-P1-C7-7) et l’écho-endoscopie. Histologiquement, elles correspondent à une prolifération papillaire de l’épithélium des canaux pancréatiques dont on distingue quatre sous-types selon le phénotype histologique et immuno-histo-chimique : pancréatobiliaire, gastrique, intestinal, oncocytique. Les indications chirurgicales sont aujourd’hui sélectives en fonction des symptômes, de la localisation et de la taille des lésions qui permettent d’apprécier le risque de dégénérescence.
Autres tumeurs kystiques
Il faut garder en tête que les lésions kystiques pancréatiques les plus fréquentes restent les pseudo-kystes post-pancréatite aiguë. Il existe d’autres lésions pancréatiques kystiques qui peuvent être des adénocarcinomes pancréatiques partiellement nécrosés, des tumeurs neuroendocrines kystiques [8], des lymphangiomes kystiques, des kystes lympho-épithéliaux, de simples kystes rétentionnels. Parallèlement, il existe aussi de rares lésions d’origine infectieuse, abcès pancréatiques ou kystes hydatiques de localisation pancréatique.
Conclusion
Les tumeurs pancréatiques recouvrent un très large éventail de lésions histologiques, certaines totalement bénignes, ne justifiant pas même d’une surveillance, d’autres particulièrement agressives, associées à une survie, tous stades confondus, de 5 % à 5 ans. Il en découle que toute tumeur pancréatique, quel que soit son mode de découverte, nécessite une exploration spécifique en milieu spécialisé.
Bibliographie